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Un vent d'acier

Un vent d'acier

Titel: Un vent d'acier Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Margerit
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gardes barbus, aux cheveux gras, interpella Kerverseau : « Que veux-tu ?
    — Faire viser mon passeport.
    — Entre là. »
    La salle ne valait pas mieux que l’antichambre. Même chaleur, mêmes senteurs dégoûtantes, mêmes figures de brigands. C’est que le débraillé, la crasse étaient des impératifs – non point de la mode mais de la prudence. Seuls, des Robespierre, des Saint-Just, des Barère, des Hébert, des Mounier-Dupré, des Lindet, et les puissants comme eux pouvaient se permettre élégance ou correction. Les révolutionnaires de seconde zone devaient se régler sur les Vincent, les Varlet, sur la grossière image du Père Duchesne à pipe, à sabots, et imiter son jargon. Kerverseau en restait aux sans-culottes bourgeois. Il se croyait ici devant les véritables bandits dont ces hommes, assis derrière une table tachée d’encre et de ronds vineux, s’appliquaient à se donner l’air. Il frémit en les entendant discuter de scellés à mettre chez un particulier où il y avait « de l’auber, de la criche », c’est-à-dire de l’argent.
    « Toi, là, que veux-tu ? s’enquit le président.
    — Faire viser mon passe.
    — D’où viens-tu ?
    — De Villefranche.
    — Dans le Rhône ? Pays d’aristocrates !
    — Vous êtes dans l’erreur, citoyen.
    — Vous ! On voit bien que dans ta commune on n’est guère au pas. Il n’y a que Pitt et Cobourg pour se donner du vous. Dans un pays libre, on doit se tutoyer.
    — Citoyen, une autre fois je n’y manquerai pas.
    — C’est bon, fais-nous avancer tes témoins. On va voir si leur mine est aussi suspecte que la tienne.
    — Quels témoins ? demanda Kerverseau, surpris.
    — Comment, quels témoins ! Monsieur fait l’idiot, ou il n’y a pas de bon Dieu ! Apprends que nous sommes ici des bougres à poil, on ne nous en conte point. Laisse ton passeport et sors vite si tu ne veux pas qu’il t’arrive quelque chose de pire. Ne ramène ton museau que quand tu seras en règle ! »
    Comme le pauvre Kerverseau, ne sachant à quel saint se vouer, était retourné à son garni, l’hôtesse lui dit qu’en effet toute personne demandant un visa devait se présenter avec deux témoins garantissant son civisme. Si l’on avait ensuite des notes fâcheuses sur son compte et si elle ne se retrouvait pas, on mettait en prison ses témoins.
    « Dans ce cas, s’exclama Kerverseau, je suis perdu, je le vois bien. Nul ne voudra s’exposer à la prison en répondant d’un inconnu. Je ne sortirai jamais de cette maudite ville.
    — Malheureux, taisez-vous ! chuchota la femme. Si l’on nous entendait !… Tenez, ajouta-t-elle, je connais un citoyen qui vous rendra ce service, en payant, toutefois, car il en fait métier. » Elle indiqua l’adresse : « La seconde petite boutique à gauche, dans la rue de la Loi.
    — Où prenez-vous la rue de la Loi ? J’ai demeuré quarante ans à Paris sans en entendre jamais parler. »
    C’était tout bonnement la rue de Richelieu rebaptisée. L’ancien robin y trouva sans peine la boutique en question : un trou, une niche, plutôt qu’un magasin, où une commère attendait en vain les chalands pour leur débiter du sel et du tabac, seules marchandises visibles sur le minuscule comptoir, et encore en minimes quantités. Son homme n’était pas là, mais il allait revenir d’un instant à l’autre, dit-elle. « Il a poussé seulement jusqu’à la place de la Révolution, pour voir une fournée d’aristocrates éternuer dans le sac. Ça n’en valait guère la peine, du reste. Une menue fournée bien ordinaire. »
    Le mari ne partageait point cette opinion. Il le dit en rentrant, peu après. « Sacrebleu ! ajouta-t-il, ces chiens-là sont morts avec bien du courage. C’est malheureux que des aristocrates meurent comme ça. Il y avait surtout, dans la bande, une petite poulette de seize à dix-huit ans, fraîche comme une rose. Elle vous a grimpé sur le coffre ni plus ni moins que si elle allait défiler une contredanse.
    — Seize à dix-huit ans, observa Kerverseau, c’est être aristocrate de bonne heure.
    — Ah ! bien oui ! dans cette caste-là, ça vous suce le fédéralisme avec le lait. »
    Mis au courant de ce qu’attendait de lui son visiteur, le marchand de tabac remarqua seulement qu’il fallait un second témoin. « Oh ! je l’aurai bientôt trouvé. Tu n’as peut-être pas dîné, citoyen ? Non, eh bien, plante-toi sur ce tabouret, nous

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