Un vent d'acier
sympathie.
« Eh bien, décida Robespierre, qu’on ne brûle pas mais qu’on lise. Puisqu’il le veut, que Camille soit couvert d’ignominie. L’homme qui tient à des écrits si perfides est peut-être plus qu’égaré. »
Un des secrétaires donna lecture du numéro IV, dans lequel Desmoulins, protestant contre les incarcérations en masse, réclamait l’ouverture des prisons. Les gradins murmuraient sourdement. Lu ainsi, à voix haute, le pamphlet prenait les allures d’un défi essentiellement antirévolutionnaire. Malheureux Camille ! Claude le regardait de loin avec effroi.
« Tu es insensé ! lui dit-il après la séance en l’entraînant dans l’ancienne sacristie pour le morigéner. Compromis comme tu l’es, aller te quereller avec Maximilien qui a voulu te protéger ! C’est la seconde fois, prends garde qu’il n’y en ait pas de troisième ! Il a sacrifié l’ouvrage pour sauver l’auteur, ne le comprends-tu pas ? Et toi, Georges, reprit-il a l’adresse de Danton qui les avait suivis, tu es bien coupable de l’avoir laissé écrire, ou de l’avoir poussé à écrire, de telles choses, quand c’est toi et les tiens qui avez aidé les Hébertistes à mettre la terreur à l’ordre du jour.
— Je la voulais contre les ennemis de la patrie, non point contre des innocents.
— Allons donc ! Tu voulais tout bonnement nous obliger à exercer cette terreur, nous rendre odieux par ce moyen. C’est de même pour te placer sur le piédestal de la clémence que tu as engagé Camille dans une campagne dont on te sait le promoteur. Vous ne réclamez à tue-tête l’indulgence que pour nous la rendre impossible en secret. Je t’en conjure, Georges, s’il te reste une lueur de bon sens, renonce à cette rivalité. Ce n’est pas la Révolution qui nous dévorera tous, comme le disait le malheureux Vergniaud, c’est nous qui nous entre-dévorons parce que justement trop d’entre nous ne pensent pas à la Révolution mais à eux-mêmes. Eh bien, pensez à vous, sacrebleu ! regardez-vous ! Camille et toi vous avez déjà le cou dans la lunette. »
Danton protesta qu’il était absolument sincère dans son désir de clémence. Il se dit tout prêt à lutter avec Robespierre contre les ultras. Or, le lendemain matin, il faisait, au moyen de Bourdon de l’Oise, décréter par la Convention la réorganisation du Conseil exécutif, avec des ministres responsables. Coup droit contre les Hébertistes, sans doute, mais aussi pour le Comité de Salut public. On enterrerait le décret, assurément. Il n’en montrait pas moins que Danton ne désarmait pas. En allant, quelques instants plus tard, parler de Camille à Robespierre, Claude le trouva en train de rédiger un projet de discours dirigé à la fois contre les indulgents et les ultras.
« Ce sont deux factions également funestes, dit-il. L’une prêche la fureur, l’autre la clémence ; l’une conseille la faiblesse, l’autre la folie. Toutes deux se rapprochent et se confondent, souligna-t-il. Voilà ce que j’ai l’intention de montrer désormais. Il faudra débarrasser la France de l’une comme de l’autre.
— Tu penses à Danton ?
— À la plupart de ses amis. À Fabre, d’abord. C’est lui, j’en suis sûr, qui a égaré Danton dans les dédales d’une politique fausse, pusillanime. C’est son mauvais génie. Cette tête féconde en artifices a conçu le projet d’éteindre l’énergie révolutionnaire pour éviter que les patriotes ne déchirent le voile dont il couvre ses agissements de spéculateur et ses intrigues.
— Et Camille ? Je lui ai fait la leçon, hier soir. Il était accablé par ta colère. »
Maximilien haussa les épaules.
« Ce n’est qu’un vaniteux, un versatile. »
Au club, le soir, Momoro lut le numéro III du Vieux Cordelier, Momoro qui, en juin 89, n’osait pas imprimer La France libre, accusait maintenant Desmoulins de modérantisme. Ce numéro III était le pastiche de Tacite, où Camille fustigeait les absurdités sanglantes de la Terreur. On écouta dans un silence glacial. Hébert demanda la parole : « Vous allez entendre la lecture du cinquième numéro de Camille Desmoulins. Il est particulièrement dirigé contre moi. Je ne m’en crois pas atteint, cet homme est tellement couvert de boue qu’il ne peut plus atteindre un patriote, mais le poison est toujours du poison, il faut l’antidote. Je demande qu’après la lecture de ces infamies la
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