Un vent d'acier
club, partageant avec le Musée de Paris l’ancienne chapelle des Cordeliers, ne disposait de ce local qu’un jour sur deux. Sous les voûtes donc de Notre-Dame, les ultras, sans nommer Robespierre, dénoncé néanmoins comme le chef des Modérés, désignèrent en lui de la façon la plus claire l’ennemi que l’on devait abattre. Momoro parla dédaigneusement des « hommes usés en république », des « jambes cassées en Révolution ». Vincent promit de démasquer des intrigants dont on serait étonné d’apprendre les noms et les complots contre les sans-culottes. Hébert, toujours tiré à quatre épingles, dénonça, dans le langage châtié de ses interventions oratoires, « ceux qui, avides des pouvoirs qu’ils accumulent, mais toujours insatiables, ont inventé et répètent dans leurs grands discours le mot ultrarévolutionnaire, pour détruire les amis du peuple qui surveillent leurs intrigues ». Et il conclut : « Il faut que cette clique ennemie de l’égalité soit à jamais renversée. » Les allusions ne pouvaient laisser de doute à personne.
Après un entretien dans la chambre de Maximilien, avec lui et Saint-Just, Claude expédia au domicile du Père Duchesne ce bref billet : « Je t’engage, Hébert, à faire moins de bruit. Le rapport Amar est prêt depuis longtemps. Il pourrait être présenté à la Convention. » C’était le rapport sur le complot de l’Étranger. Il ne visait plus seulement les quelques Dantonistes emprisonnés, il dénonçait maintenant les liaisons des principaux Hébertistes avec Proli, Batz, les agents de l’Angleterre et de l’Espagne. Le Père Duchesne ne l’ignorait pas. Après avoir tant réclamé ce rapport, il se gardait bien d’en parler.
Le lendemain soir, Jean Dubon qui continuait d’aller aux Cordeliers, eut la surprise de voir Hébert battre soudain en retraite. Plus question de la clique ennemie. On ne parla que de rééditer L’Ami du Peuple. Et, quarante-huit heures plus tard, Hébert justifiait la Convention et les Comités dans un discours sur la vie chère dont il rendait responsables les fermiers, « les marchands de vin qui font vendange sous le Pont-Neuf ». Il écrivait dans son Père Duchesne : « Ce n’est pas la faute de la Convention si on se fout du maximum à la barbe des autorités. Qu’on double, qu’on triple l’armée révolutionnaire ! À l’approche de ses guillotines, greniers et boutiques s’ouvriront. »
En l’absence de Robespierre et de Couthon, Saint-Just, président de la Convention depuis le 1 er ventôse, avait été chargé par Maximilien de poursuivre la campagne pour la consolidation du gouvernement. Le 8 ventôse – 26 février, ancien style –, se faisant remplacer par Claude au fauteuil, il descendit à la tribune pour lire, au nom du Comité de Salut public et du Comité de Sûreté générale, un rapport qui avait provoqué, la veille, au pavillon de l’Égalité, quelques remous. Entre autres choses, Saint-Just proposait tout simplement aux deux Comités d’ouvrir les prisons pour employer à des travaux forcés les détenus. Dans sa logique désincarnée, il raisonnait ainsi : « Depuis mille ans, la noblesse opprime le peuple français par des exactions et des vexations féodales de tout genre. La féodalité et la noblesse n’existent plus. Vous avez besoin de faire réparer les routes des départements frontières pour le passage de l’artillerie, des convois. Ordonnez que les nobles détenus iront par corvée travailler tous les jours à la réparation des grandes routes. » La proposition était tombée dans un silence stupéfait et scandalisé. Même Billaud, même Collot d’Herbois qui fauchait au canon les fédéralistes lyonnais, même Barère toujours prêt à tout, s’ils jugeaient naturel de guillotiner les nobles coupables ou seulement dangereux, n’admettaient pas de les humilier. La loi assurait aux suspects, dans les maisons de détention, un traitement que les soldats en loques pouvaient envier. Tout prisonnier avait droit à une paillasse, un matelas, deux paires de drap, six chemises, six mouchoirs, six paires de bas, et il recevait en outre une allocation ; il pouvait faire apporter ses meubles. L’idée de Saint-Just avait été repoussée unanimement.
À la tribune, froid, distant et comme isolé dans sa jeune beauté, il annonça qu’il s’agissait de fixer les moyens les plus rapides pour reconnaître et délivrer l’innocence
Weitere Kostenlose Bücher