Un vent d'acier
n’étaient pas moins fanatiques dans leur genre que les Hébertistes. La suppression successive, et nécessaire malgré tout, des opposants dans l’Assemblée, avait fortifié, chez Robespierre et Couthon, ce fanatisme qui se donnait maintenant libre cours. Mais, s’il n’existait plus aucun parti d’opposition, les éléments d’opposition ne manquaient pas. Dans la Convention, purgée à présent de tous les faux révolutionnaires, il devait être possible de réunir assez d’hommes résolus, pour faire échec à la nouvelle tyrannie.
Ce même jour de mai 94, le 4 prairial, au soir, une jeune fille de vingt ans avait quitté son domicile, au coin de la rue de la Lanterne et de la rue des Marmousets, près du pont Notre-Dame. Un baluchon à la main, elle errait dans Paris qu’elle connaissait mal, car elle était rarement sortie de la Cité. Elle portait sur elle deux petits couteaux et cherchait Robespierre, comme Ladmiral, la veille. Ignorant son adresse, elle s’enquit à un corps de garde de pompiers. Ils n’en savaient pas beaucoup plus qu’elle là-dessus.
« Voyons, Robespierre est bien dans quelque place, dit-elle.
— Oui, il est président du Comité de Salut public.
— C’est donc un roi ! s’exclama-t-elle naïvement. Où se trouve ce Comité ?
— À la Convention, sans doute. »
On lui dit par où il fallait passer pour s’y rendre. Elle finit par arriver au Carrousel. Sur le perron du Palais national les portes à mufles de lions étaient fermées. Elle entra au café Payen pour se renseigner. Le patron lui apprit que Robespierre habitait à la menuiserie Duplay et lui indiqua le chemin. La jeune fille demanda la permission de laisser ici son baluchon. Elle partit en disant d’un petit ton tranquille : « Je vais voir un homme qui est beaucoup aujourd’hui, et qui demain ne sera plus rien. » Vers neuf heures, elle arrivait devant le porche, sous lequel elle s’engagea sans hésitation.
Dans la cour, Éléonore causait avec le serrurier Didié, le peintre Châtelet, tous deux jurés au Tribunal révolutionnaire, et Boulanger, aide de camp d’Hanriot. La porte, la fenêtre de la salle à manger étaient ouvertes, laissant apercevoir la pièce éclairée. Dehors, il faisait encore jour. Éléonore et les trois hommes virent s’avancer une jeune fille assez jolie, mise comme une petite ouvrière coquette. Elle salua d’un signe de tête et demanda Robespierre.
« Il est absent, répondit Éléonore. Du reste, les solliciteurs ne doivent pas venir ici mais s’adresser au Comité de Salut public.
— C’est bien étonnant qu’il ne soit pas là, riposta la visiteuse avec humeur. Voilà trois heures que je le cherche. N’est-il pas fonctionnaire public ? Donc il doit répondre à toutes les personnes qui se présentent chez lui. »
Ces propos irrévérencieux excitaient le soupçon. Les trois citoyens invitèrent la jeune fille à les suivre. Ils l’emmenèrent à l’hôtel de Brionne. En chemin, ils la firent parler. Elle observa que, « dans l’ancien régime, quand on se présentait chez le roi, on entrait tout de suite.
— Regrettez-vous donc les rois ? dit un de ses guides.
— Je verserais tout mon sang pour en avoir un. Voilà mon opinion : vous êtes des tyrans. »
Au Comité de Sûreté générale, elle déclara se nommer Anne-Cécile Renault, vivant avec sa tante et son père, papetier dans la section de la Cité.
« Pourquoi vouliez-vous approcher Robespierre ? lui demanda t-on.
— Pour savoir s’il me convenait.
— Qu’entendez-vous par là ?
— Je n’ai rien à répondre. Ne m’interrogez pas davantage.
— Enfin de quoi vouliez-vous l’entretenir ?
— C’est selon que je l’aurais trouvé.
— Aviez-vous un mémoire à lui présenter ?
— Cela ne vous regarde pas ! »
Voulland la fit fouiller par une femme, une solliciteuse qui attendait. On trouva sur la jeune fille les deux petits couteaux de poche, l’un en écaille, l’autre en ivoire garni d’argent. Ils n’étaient guère offensifs. Elle réclama le paquet qu’elle avait déposé au café Payen. Didié et Châtelet allèrent le chercher. Pendant ce temps, Vadier, auquel tout cela semblait fort bizarre, essayait de savoir si la jeune Cécile ne connaissait pas la rue de la Contrescarpe, la citoyenne Godefroid, Catherine Théot, dom Gerle. Vadier pensait que cette « visite » avait pu être suscitée pour remettre au premier plan
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