Un vent d'acier
les héros de la cérémonie où il comptait bien, lui, tenir le rôle de grand pontife. Collot, ou bien Amar, Tallien ou Fouché, ou peut être même Carnot, avait adroitement poussé Rousselin. Il ne s’attendait pas à une riposte si virulente. Traité de perfide, de suppôt des tyrans, de dantoniste attardé, il fut en un instant exclu de la Société. Néanmoins, il avait rempli son rôle en dévoilant les visées du petit homme et ce qui se cachait sous son apparente modestie.
En revanche, le lendemain, à la Convention, Robespierre se releva jusqu’aux sommets en prononçant un de ses plus saisissants discours, plein d’une majesté funèbre. L’inévitable Barère, qui se faisait le thuriféraire de Maximilien, et s’employait par là même à saper sa puissance en le glorifiant comme une idole, n’avait pas manqué d’attribuer les tentatives de Ladmiral et Cécile Renault à la coalition des tyrans étrangers, particulièrement à Pitt. Robespierre parut d’abord le suivre, mais évoquant les crimes des rois armés contre la République française, d’une envolée il échappa au piège. Il s’effaça pour placer la Convention tout entière devant ses périls, ses succès, ses devoirs.
« Ce sera, dit-il, un beau sujet d’entretien pour la postérité, c’est déjà un spectacle digne de la terre et du ciel, de voir les représentants du peuple français, placés sur un volcan inépuisable de conspirations, tout ensemble rendre à l’éternel auteur des choses l’hommage d’un grand peuple, et lancer la foudre sur les tyrans, fonder la première démocratie d’Europe, et rappeler parmi les mortels la liberté, la justice et la vertu exilées… Les tyrans conjurés espéraient affamer le peuple. Il vit encore, et la nature lui promet l’abondance. Ils espéraient nous exterminer les uns après les autres par des révoltes soudoyées. Ce projet a échoué. Ils ont cru nous accabler sous l’effort de leur coalition en armes. Leurs canons tombent en notre pouvoir, leurs satellites fuient devant nos soldats. » L’armée du Nord venait en effet, le 29 floréal – 18 mars – d’enlever à l’ennemi soixante canons et de faire deux mille prisonniers.
« Ils ont cherché, poursuivit Robespierre, à dissoudre la Convention par la corruption. La Convention a puni leurs complices. Ils ont essayé de dépraver la république en bannissant le bon sens, la vertu et la Divinité. Nous avons proclamé la Divinité et l’immortalité de l’âme. Que leur restait-il à employer contre nous ? L’assassinat. Réjouissons-nous et rendons grâces au ciel d’avoir ainsi mérité les poignards de la tyrannie… Ô rois, nous ne nous plaindrons point du genre de guerre que vous nous faites ! Quand les puissances de la terre se liguent pour tuer un faible individu, sans doute ne saurait-il s’obstiner à vivre. Aussi n’avons-nous pas fait entrer dans nos calculs l’avantage de vivre longuement. Ce n’est pas pour vivre que l’on déclare la guerre à tous les tyrans et à tous les vices… Entouré de leurs assassins, je me suis déjà placé moi-même dans l’ordre de choses où ils veulent m’envoyer. Je ne tiens plus à une vie passagère que par l’amour de la patrie et par la soif de justice. Dégagé de toutes les considérations personnelles, je me sens mieux disposé à poursuivre avec énergie tous les scélérats qui conspirent contre mon pays et contre le genre humain. Plus ils se hâtent de terminer ma carrière ici-bas, plus je veux me hâter de la remplir d’actions utiles au bonheur de mes semblables. Je leur laisserai du moins un testament dont la lecture fera frémir tous les tyrans et leurs complices. »
Avec un détachement suprême, et comme s’il parlait d’outre-tombe, il prodigua ses conseils sur les institutions républicaines. C’était, une fois encore, l’homme supérieur qui se faisait entendre. Il exerçait en ce moment sur la Convention un ascendant sans exemple. Claude lui-même le subissait.
Robespierre se résuma : « Des êtres pervers sont parvenus à jeter la république et la raison du peuple dans le chaos. Il s’agit de recréer l’harmonie du monde moral et du monde politique. En disant ces choses », ajouta-t-il tandis que son regard défiait Collot, Tallien, Bourdon, Fouché, Barras, Fréron, Amar, Vadier, tous ceux dont il connaissait l’hostilité plus ou moins secrète, « j’aiguise peut-être contre moi des poignards. C’est
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