Un vent d'acier
Dufils, le traiteur, où il usa la soirée.
À onze heures, il rentrait chez lui, saoul de déception et d’énervement. Son désir de vengeance tournait au besoin bestial de tuer, de se détendre dans cet acte que la malchance lui avait refusé tout le jour. Eh ! pardieu ! n’avait-il pas ici, dans la maison même, ce Collot qui se vantait de son importance au Comité de Salut public ! Celui-là, au moins, ne risquait pas de lui échapper. Assis sur l’unique chaise dans sa mansarde, il vérifia ses armes en attendant, fébrile. Parfois il se levait, arpentait le carreau. Ce Collot revenait toujours tard dans la nuit. Vers une heure enfin, on l’entendit taper avec sa canne, comme d’habitude, à la porte de la rue. Penché sur la rampe, Ladmiral vit la servante du conventionnel sortir du troisième, un bougeoir à la main, descendre, ouvrir. En montant, le député parlait. Sa voix forte parvenait jusque là-haut, reconnaissable.
Ladmiral bondit, dévala l’escalier, arriva sur Collot en lui criant : « Arrête ici ! Voilà ta dernière heure ! » Il tira presque à bout portant, mais le pistolet fit long feu. De saisissement, Collot avait laissé tomber sa canne ; il se baissa vite pour la rattraper et se défendre. Juste alors le furieux lâchait son second coup, qui manqua le but. La servante poussait des cris àréveiller tout le quartier. Quatre à quatre, Ladmiral regrimpa s’enfermer dans sa chambre.
La maison, la rue s’emplissaient de tumulte. Alertés par les hurlements de la servante qui avait ouvert la fenêtre et appelait à la garde, à l’assassin, une patrouille accourait des péristyles du théâtre proche. Bertrand Arnaud, membre de la Commune, lui aussi locataire de l’immeuble, s’était jeté en bas du lit. Ne prenant que le temps de saisir son écharpe, il monta, en chemise, les jambes velues, suivi par les sectionnaires. On les mit au courant, ils se lancèrent bravement à l’assaut, avec leurs piques et leurs sabres pour seules armes. Ladmiral les attendait, ses pistolets rechargés. Il entrouvrit la porte et tira, blessant l’un des assaillants : le serrurier Geffroy. Les autres se ruèrent, saisirent le furieux, le maîtrisèrent. Arnaud, empêchant qu’on lui fît violence, ordonna de le conduire au poste.
Au matin, dès la première heure le bruit courait que Collot d’Herbois avait été assassiné. Dieu merci, comme Barère l’annonça peu après à la Convention, il n’en était rien ! Toujours porte-parole du Comité, Barère exposa les faits. Dès son premier interrogatoire, Ladmiral n’avait pas caché qu’il n’était rabattu sur Collot, faute de pouvoir atteindre Robespierre. Bien entendu, il s’agissait d’un complot. Des aristocrates avaient armé la main du criminel. « Il faut de nouvelles victimes aux héritiers impies des Capets et de leurs courtisans. Qu’on assassine, qu’on empoisonne, est la réponse des tyrans coalisés. Le gouvernement anglais a vomi parmi nous la trahison et. la guerre, entouré la Convention nationale d’assassins. » Pour Couthon aussi, seule l’Angleterre avait pu « vomir un pareil monstre ». Dans le style nouvellement en honneur, le paralytique conjura l’Être suprême de veiller sans cesse « sur les hommes de bien qui honorent sa Providence ». Puis Collot d’Herbois en personne parut au moment bien choisi et fut couvert d’acclamations. On décréta que la Convention insérerait chaque jour dans son procès-verbal le bulletin de santé du brave citoyen Geffroy.
Claude s’était gardé de prendre la parole. Il ne croyait pas à un complot. Il avait vu les procès-verbaux d’interrogatoire transmis au Comité de Sûreté générale. Ils montraient clairement que Ladmiral avait agi d’instinct, comme une bête lasse de souffrir se retourne, enragée, contre ses maîtres tourmenteurs. Malheureusement, pour beaucoup d’autres Français, plus intéressants que ce dévoyé – des Français ni royalistes ni sans-culottes –, le gouvernement révolutionnaire devenait de plus en plus un tourmenteur. Et cela par la faute de l’esprit systématique dans lequel s’ancraient Robespierre, Couthon et Saint-Just. Un mystique, un infirme à demi mort, un adolescent vivant en plein rêve d’héroïsme, de simplicité antique et de logique pure, tous sans aucun souci des réalités humaines, tous s’imaginant que le bonheur, les sentiments, la pensée se régentent à coups de décrets. Ils
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