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Un vent d'acier

Un vent d'acier

Titel: Un vent d'acier Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Margerit
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les revendre. Il partageait avec elle ces maigres bénéfices dont ils avaient fort besoin tous les deux. La nuit, il hantait les maisons de jeu, cherchant des dindons à plumer.
    D’abord indifférent à la Révolution, il s’était pris d’aversion pour elle en raison de la misère où elle le réduisait. Sa colère augmentait de jour en jour. Son désir de vengeance se fixait sur la personne de Robespierre puisque la voix publique le désignait à présent comme l’artisan de tout ce qui se faisait, le maître de la Révolution. C’était donc à cause de cet homme qu’il touchait aujourd’hui le fond du dénuement. Il venait de vendre ses meubles. Il ne lui restait plus dans son galetas qu’un matelas et une chaise. Sur son dernier argent, il acheta deux pistolets.
    Le 3 prairial, tenant ces armes prêtes au fond de ses poches, il partit dès huit heures, dans le matin bleuté et doré. Il gagna le boulevard. Par la place des Piques où deux drapeaux flottaient, l’un à la section, l’autre au ministère de la Justice, il arriva rue de la Convention. Il savait où habitait Robespierre, mais ignorait à quelle heure le tribun sortait habituellement pour se rendre aux Tuileries. C’est à ce moment qu’il l’abattrait. Il essaya de se renseigner dans l’une des deux boutiques encadrant le porche. La marchande, fruitière-laitière, lui dit de s’adresser à la menuiserie, dans la cour. Il franchit le long passage voûté. Derrière le vitrage de l’atelier, les compagnons s’activaient fort, car Duplay avait une grosse commande d’échafaudages pour la fête du 20. Ladmiral vit, près de la pompe, une citoyenne et un sectionnaire en armes, auprès « lesquels il voulut s’informer. Au premier mot, on lui répondit : « Robespierre est occupé, il ne peut recevoir. » La présence du garde civique dissuada le visiteur de se montrer trop curieux. Il repartit. Eh bien, il tuerait son homme aux Tuileries, voilà tout. En portant ses pas dans cette direction, il sentit la faim et entra au restaurant Roulot, tout au bout de la terrasse des Feuillants, où il se paya un déjeuner de quinze francs. Ce serait sa dernière bombance. Ensuite, installé à la Convention dans les tribunes, au milieu d’une assistance clairsemée et très sage, une somnolence le prit. La nuit précédente il n’avait pas fermé l’œil, et depuis plusieurs semaines il lui fallait de l’opium pour dormir. Il perdit conscience en écoutant Cambon qui parlait inépuisablement des finances.
    Le brouhaha dans la salle en train de se vider réveilla tardivement le dormeur. Quoi ! c’était donc fini ! Ce foutu Robespierre lui échappait encore. Il courut par l’extérieur au pavillon de l’Unité, espérant que sa victime n’avait pas encore passé. Parmi le va-et-vient du public, des conventionnels descendaient l’escalier des Suisses, traversaient le vaste vestibule aux colonnes. Quelques-uns s’arrêtaient devant les boutiques, d’autres sortaient par le perron, vers le Carrousel, d’autres allaient à l’inverse, voir sur la terrasse ensoleillée les ouvriers dressant un échafaudage contre cette façade et couvrant d’un plancher le bassin, d’autres enfin se dirigeaient vers la galerie du pavillon de l’Égalité, défendue par un poste. Aucun n’était Robespierre.
    Au bout d’un moment, comme nul député n’arrivait plus, Ladmiral, déçu et exaspéré, partit à son tour et alla faire les cent pas dans la cour, devant la porte vitrée de l’escalier de la Reine. Le misérable Robespierre ne coucherait pas ici, il faudrait bien qu’il s’en retournât chez lui, à un moment ou un autre. Malheureusement, on ne pouvait monter ici une trop longue faction. Ladmiral vit s’en aller Collot d’Herbois et d’autres, mais il s’aperçut qu’il éveillait les soupçons des canonniers de garde. Il lui fallut s’éloigner. Il rôda longtemps et en vain sur le Carrousel, travaillé par une exaspération et une déception croissantes. Il avait des instants d’abattement et d’autres où la fureur de vengeance, la rage de tuer flambaient en lui. Il traîna de café en café sur le chemin que devait emprunter sa victime. À la terrasse de l’un d’eux, il fit une partie de dames avec un jeune homme inconnu. Le soir tombait, le ciel était clair encore, d’un bleu vert. Dans l’ombre des maisons les lumières s’allumaient. Envahi par une grande lassitude, Ladmiral regagna la rue Favart, soupa chez

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