Un vent d'acier
vu les renseignements, le Comité l’a transmise aussitôt à Fouquier-Tinville. Ces gens-là, c’est du gibier de guillotine.
— Sacré nom ! s’exclama Claude. Voilà donc comment s’informe votre justice ! Il y a plus de faux que de vrai dans ces renseignements, j’en puis faire témoigner Audouin et Gay-Vernon. Cette femme est la sœur du général Delmay. Vous l’ignorez, bien entendu.
— Personne ne l’a dit, nous ne pouvions le deviner.
— Parbleu ! les Enragés de Limoges se sont gardés de vous en avertir. Il faut se défier des comités de province, de leurs intérêts personnels et de leurs rancunes, vous savez cela, au moins ? De simples réponses à un questionnaire ne signifient rien si elles ne sont pas assorties de preuves. Primo, la citoyenne Montégut n’a jamais correspondu avec le ci-devant comte de Jumilhac, émigré, mais avec son ancien intendant, non émigré. Deuxièmement, le prétendu aristocrate Montégut, jacobin depuis la fondation du club et officier municipal jusqu’au moment où mon père a quitté la mairie, est tellement contre-révolutionnaire qu’il a équipé son beau-frère Bernard Delmay pour l’envoyer avec le 2 e bataillon des volontaires combattre les ennemis de la république. Pensez-vous récompenser et encourager le zèle de notre frère et ami le général, en expédiant ses parents au Tribunal révolutionnaire ?
— S’ils étaient coupables, remarqua Ruhl, il devrait être le premier à souhaiter leur châtiment.
— Te prends-tu à présent pour un Romain, toi aussi ? répondit Claude en haussant les épaules. Je demande un second rapport devant les deux Comités.
— Entendu, acquiesça Lavicomterie. Je vais faire revenir les pièces.
— Ne t’en inquiète pas, j’irai les chercher moi-même. »
À la Tournelle, Fouquier-Tinville siégeait. Claude, ne voulant ni le déranger ni attendre, alla au greffe et demanda le dossier, qui, dit-il, devait repasser devant les Comités. Le remplaçant de Paris-Fabricius – celui-ci était au secret à la prison du Luxembourg depuis le procès Danton – rédigea une décharge. Claude la signa. Dans la voiture, en retournant au pavillon de Flore, il feuilleta, trouva le paquet de lettres, en lut deux. Comme il le pensait, c’étaient là propos acides sur les Jacobins, le maximum, l’avilissement de l’argent, la ruine du commerce, des plaintes contre les persécutions religieuses. Rien de plus et rien de bien grave. Au contraire même, la colère de Léonarde contre le culte de la Raison, contre le cortège grotesque organisé par les Hébertistes limousins pour la réception des suspects de la Corrèze ne pourrait qu’être bien vue de Robespierre et de Couthon.
Mais, un peu plus tard, installé dans son cabinet, poussant plus loin ses investigations parmi ces papiers, il trouva quatre messages d’une bien autre encre, et s’aperçut qu’il venait de commettre une énorme erreur tactique. En parlant d’une correspondance « portant le caractère le plus marqué de contre-révolution », l’homme aux lunettes ne se trompait point. Et Fouquier ne notait pas sans cause, en marge du rapport Jagot : « Cette femme est une des contre-révolutionnaires les plus prononcées qui aient paru au tribunal. » Oui, il fallait, comme elle l’avait dit elle-même, qu’elle fût folle pour confier au papier pareilles choses. Et plus fou encore ce Carron, de n’avoir pas détruit ces lettres sitôt lues.
Le 24 juillet 1791, à la nouvelle de la fuite de Louis XVI, n’écrivait-elle pas : « Je vous dirai avec plaisir que nos patriotes font caca dans leurs culottes. Un courrier arrivé hier matin à huit heures apporte des nouvelles de l’Assemblée nationale, qui marquent que le Roi, la famille royale, M. de La Fayette, M me de La Fayette et la fille de M. le Bailly (Bailly, voulait-elle dire, sans doute, se trompant là-dessus comme sur le ménage La Fayette), sont partis. Les (illisible, Jacoquins, peut-être) n’ont été avertis qu’à onze heures de ce départ. Enfin ils sont tout tristes comme des bonnets de nuit, et moi gaie comme pinson. »
Dans une autre lettre, elle injuriait la « fichue nation avec leur drôlesse de constitution qui nous ruine depuis que ça dure, mais les gueux y trouvent leur compte. Ils ne savent dire autre chose que nous sommes tous libres et tous égaux. Je pense tout différemment. Je ne sais quand tout cela finira, mais il y a de
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