Un vent d'acier
Saint-Just, et plus encore les agents d’Herman : les espions personnels de l’Incorruptible, le guettaient, lui Fouquier, et que Robespierre ne lui pardonnait pas son mauvais vouloir dans le procès des Hébertistes, sa manœuvre dans celui des Dantonistes, sa résistance au projet de loi du 22. Déjà menacé d’arrestation en germinal, il savait – car lui non plus ne manquait pas d’oreilles – il savait qu’en ce moment Herman lui cherchait un successeur. En revanche, il pouvait compter sur le Comité de Sûreté générale, hostile à Robespierre, très irrité en outre par les empiétements du bureau de police. Mais les Amar, les Vadier, les Voulland, et, au Salut public Billaud, Collot d’Herbois, ne lui continueraient pas leur protection s’il ne s’affirmait lui aussi « patriote rectiligne ». Ainsi, pour leur montrer son ardeur révolutionnaire, comme pour désarmer l’Incorruptible, lui fallait-il faire fonctionner furieusement son tribunal. Il s’y employait sans repos.
On en vit l’effet au procès des « assassins de Robespierre », comme disait le public, de la conjuration de l’Étranger, disait l’acte d’accusation. À Ladmiral, à Cécile Renault et toute sa famille, étaient adjoints la trop belle M me de Sainte-Amaranthe, sa fille, son gendre, son fils, ainsi que des ci-devant grands seigneurs, un prêtre, un musicien, une actrice : tous accusés, dans un rapport du Comité de Sûreté générale rédigé par Élie Lacoste, de manœuvres contre-révolutionnaires en liaison avec les émigrés ou l’étranger. Certains étaient indéniablement des agents de Batz. Au total cinquante-quatre personnes jugées en une seule audience et envoyées à l’échafaud en une seule fournée. Déclarés parricides, les condamnés devaient être exécutés en chemise rouge. Il fallut improviser ces cinquante-quatre vêtements avec des étoffes trouvées çà et là, de sorte que toutes les nuances de la pourpre émaillaient la longue file des charrettes escortées de gendarmes et de canonniers, qui s’étirait par les rues, dans le soleil de juin. La nuque et les épaules dégagées par ces somptueuses simarres, les femmes étaient étrangement belles. Voulland, tout heureux d’avoir joué à Robespierre ce nouveau tour sournois, car la disproportion entre les vaines tentatives d’assassinat et l’atroce magnificence du châtiment ne manquerait point de frapper les esprits, engageait ses collègues à suivre le cortège.
« Allons auprès du grand autel voir célébrer la Messe rouge », s’écriait-il.
Et Fouquier, narquois : « On dirait une fournée de cardinaux ! »
Le jour même, Robespierre demanda l’arrestation de l’accusateur public. Les Comités la refusèrent.
Durant ce temps, le malheur s’appesantissait sur les Montégut. Dans le camp de Champenétéry gardé par les sectionnaires de Saint-Léonard et la gendarmerie, Jean-Baptiste venait d’apprendre tout ensemble deux affreuses nouvelles : sa mère, incapable, en son grand âge, de faire face à la tragédie, se mourait ; sa femme allait être incessamment envoyée au Tribunal révolutionnaire. Quant aux deux enfants, ils avaient été recueillis rue Montmailler, où le désarroi, l’inquiétude régnaient après l’incarcération de M. Delmay et de Marcellin.
Léonarde, elle, à la Visitation, sans changer de sentiment, car elle restait pénétrée de sa religion et de ses idées, déplorait amèrement sa légèreté, son imprudence. Elle avait peur. Son effroi le plus immédiat, c’était de quitter Limoges. Dans cette prison-couvent, elle se sentait encore près des siens. Elle avait une chambre assez propre, avec un lit aux pentes de serge, une table, une chaise, une petite commode. Le jour, on circulait, on se rendait visite. Elle connaissait les quatorze détenues, et les dix-neuf prisonniers, parmi lesquels M. de Reilhac, Montaudon, les Mailhard père et fils. Les hommes logeaient dans une aile séparée, mais on se retrouvait dans la cour entre midi et quatre heures, sous surveillance. Thérèse Naurissane, qui avait oublié sa superbe et attendait avec calme les événements, s’efforçait de remonter la nouvelle venue en l’assurant que la république ne pouvait pas se montrer bien sévère pour la sœur d’un de ses grands généraux.
« Hélas ! répondit-elle, voilà encore un des effets de cette horrible Révolution : elle nous a divisés, Bernard et moi. Depuis
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