Un vent d'acier
beau-frère Marcellin, et son propre frère, prêtre depuis longtemps exilé. Au demeurant, voici un témoignage de notre collègue Gay-Vernon. « J.-B. Montégut, écrit-il, est un bon homme, incapable de faire le moindre mal à qui que ce soit ni de nuire à la nation. Son seul tort se trouve dans une certaine faiblesse de caractère. »
Le ci-devant évêque avait bien voulu témoigner en faveur de Jean-Baptiste, mais non pas de Léonarde. Il n’entendait point, lui non plus, prendre son parti contre les frères et amis limougeauds qu’elle accusait de malversations.
« Le District de Limoges, poursuivit Claude, connaît l’innocence de Montégut : il ne l’a non seulement pas traduit devant le Tribunal révolutionnaire, mais ne l’a même pas emprisonné. Il l’a simplement, par mesure prudente, mis dans un camp de surveillance. Voilà donc un homme qui a été l’ami de la Révolution, un citoyen estimable, neutre maintenant à l’égard de la république. Allons-nous la lui faire haïr en envoyant son épouse à l’échafaud pour quelques propos stupides ? Rendrons-nous également la république odieuse à notre ami Delmay qui la défend si bien, qui vient encore de déjouer les manœuvres ennemies en Alsace et de remporter la victoire ? Oui, sans doute, il n’a jamais mis en balance ses sentiments familiaux avec l’amour de la patrie, mais il n’oublie pas pour cela qu’orphelins, sa sœur lui a tenu lieu de mère. Elle l’a élevé. Si elle n’a point partagé ses convictions, elle ne les a pas empêchées de se former, elle ne les a pas combattues. En dépit de leur opposition d’idées, il lui garde au fond du cœur, je le sais, une affection quasi filiale. Voulez-vous le frapper dans celle-ci ? »
C’était une bonne plaidoirie. Claude voyait bien qu’elle portait. Restait le plus épineux : essayer d’excuser Léonarde. Il le tenta fort adroitement.
« Je suis mal venu, dit-il, à vous exposer les mouvements d’âme auxquels la citoyenne Montégut a cédé en écrivant des lettres contre-révolutionnaires. Robespierre, tu dois mieux que moi la comprendre, car ces mouvements sont semblables à ceux qui t’ont animé contre les excès hébertistes. Sans être dévote ni farouchement imbue de superstition, Léonarde Delmay a toujours montré ce caractère naturellement religieux dont témoignait le peuple limousin, au contraire de la grosse bourgeoisie, incroyante mais attachée par politique au maintien de l’autel comme du trône. Les mascarades antireligieuses ont révolté cette femme, et, dans son esprit simple, elle n’a pas su faire la différence entre les Enragés et les vrais patriotes, elle a pris tous les sans-culottes en dégoût. Pour lui faire concevoir son erreur, ce n’est pas au tribunal qu’il fallait l’envoyer, mais à la fête de l’Être suprême. Saisis-tu ma pensée, Robespierre ? »
L’Incorruptible acquiesça d’un signe. Il comprenait, sans négliger cependant l’adresse et la rouerie de l’avocat.
À présent, il fallait, bon gré mal gré, lire les pires passages des lettres – dont seuls certains membres du Comité de Sûreté générale connaissaient la teneur –, car il eût été désastreux de laisser les commissaires entendre cette lecture après le rapport. Assurément les uns ou les autres la demanderaient, et elle détruirait l’effet de la plaidoirie. Claude céda donc à la nécessité, tout en s’attendant à ce qui allait se produire. En effet, des murmures, des grondements d’indignation, lui coupèrent plusieurs fois la parole.
« Je ne conçois pas, s’écria Billaud, comment tu oses défendre cette scélérate !
— Je ne la défends pas, elle, mais, à travers elle, son mari et Delmay. Cependant, mettez-vous à la place de cette femme. Elle a deux enfants, elle songe à leur avenir. Un négoce, modeste et prospère, l’assure. Soudain, ce bonheur laborieux, cet avenir s’écroulent dans le marasme général du commerce. La disette, la dépréciation de la monnaie, la crainte du lendemain : voilà ce qui arrive au lieu des améliorations promises. Cela ne justifie-t-il pas un peu la hargne exprimée dans ces lettres, la prévention contre les assignats ? À tout prendre, la citoyenne Montégut a-t-elle agi contre la république par conjuration ou complot ? A-t-elle même déclamé publiquement contre elle ? A-t-elle correspondu avec des émigrés ? Non, elle a simplement confié sa colère à un
Weitere Kostenlose Bücher