Un vent d'acier
le soleil très chaud, la carriole gravit et descendit cahin-caha les rudes montées et les pentes sinueuses, entre les prés où s’achevait la fenaison, les châtaigneraies, les étangs dont le niveau baissait découvrant les sables limoneux. Souvent, dans les côtes, Léonarde mettait pied à terre, marchait avec Valette et le conducteur. On mangeait ensemble aux relais. Elle ne semblait point prisonnière ; cependant, le soir, le gendarme s’enfermait à clef avec elle, en s’excusant sur son devoir. Jeune encore, plaisante, elle s’était un peu inquiétée de cette mesure ; mais son compagnon ne songeait point à en abuser. Chacun se déshabillait derrière ses rideaux et se mettait au lit. Elle ne dormait guère, elle l’entendait ronfler. Un brave homme. Il lui avait rendu un peu de courage. Elle ne pouvait pourtant retenir ses larmes en pensant à Jean-Baptiste, aux petits.
En arrivant à Argenton, on gagna la gendarmerie. Valette se fit délivrer décharge de sa prisonnière. La brigade de la Creuse devrait la remettre à la gendarmerie de Vierzon, et ainsi de suite jusqu’à Paris. Les deux Limougeauds souhaitèrent bonne chance à Léonarde affectée de voir se dénouer l’ultime lien avec sa ville natale. « Bah ! dit le voiturier, vous reviendrez bientôt, en poste, vous verrez, citoyenne. » Cette nuit-là, elle coucha dans la prison de la commune. Le lendemain à l’aube, elle repartait avec un nouveau gendarme et un conducteur qui ne se souciaient guère d’elle. Ils parlaient entre eux.
Bien entendu, Claude n’avait pas perdu un instant pour lui venir en aide. Mais à la Sûreté générale on trouvait seulement, au nom de Montégut, le questionnaire adressé à toutes les communes depuis la loi de nivôse, dans le but de vérifier les motifs des arrestations. Le comité de surveillance de Limoges répondait en ces termes aux questions imprimées :
« 1 o Nom du détenu, son domicile avant sa détention, son âge, le nombre de ses enfants, leur âge, où ils sont, s’il est veuf, garçon ou marié.
M ONTÉGUT Jean-Baptiste, gendre à Delmay, demeurant à Limoges, section de la République, ayant deux enfants en bas âge chez lui. Marié. Quarante-neuf ans.
2 o Le lieu où il est détenu, depuis quand, à quelle époque, par quel ordre, pourquoi.
En arrestation chez lui depuis le 20 pluviôse, par ordre du comité actuel, comme aristocrate.
3 o Sa profession avant et depuis la Révolution.
Marchand.
4 o Son revenu avant et depuis la Révolution.
Son revenu en biens-fonds est de 1 200 livres, et le produit de son commerce.
5 o Ses relations, ses liaisons.
Avec les aristocrates et les prêtres réfractaires.
6 o Son caractère et les opinions politiques qu’il a montrées dans les mois de mai, juillet et octobre 1789, au 10 août, à la fuite et à la mort du tyran, au 31 mai et dans les crises de la guerre ; s’il a signé des pétitions ou arrêtés liberticides.
D’un caractère faible et tendant à l’imbécillité envers sa femme ; ses opinions politiques penchent vers l’ancien régime. »
Aux mêmes questions concernant Léonarde, les commissaires limougeauds répondaient ainsi :
« D ELMAY , femme à Montégut, demeurant à Limoges, ayant deux enfants en bas âge demeurant avec elle. Trente ans. Mariée.
En arrestation chez elle depuis le mois pluviôse, par ordre du comité de la commune, pour faits d’aristocratie. On avait ajouté : Transférée à la Visitation le 18 prairial sur une dénonciation du comité de surveillance d’Excideuil.
Marchande.
Son revenu total peut s’élever à 400 livres. Ses relations sont avec les fanatiques et les aristocrates bien connus.
D’un caractère impétueux. Ses opinions sont celles d’une fanatique et aristocrate, ayant tenu des correspondances très inciviques avec Jumilhac, ex-comte. »
Le questionnaire datait d’avant la décision de transfert prise à Limoges par le District. Claude passa de l’hôtel de Brionne au pavillon de Marsan par le couloir de bois tendu de toile à rayures. Ni Amar ni Vadier ni Voulland n’étaient là, mais Lavicomterie et le vieux Ruhl se trouvaient dans le cabinet de celui-ci. Claude leur demanda s’ils connaissaient l’affaire Montégut-Delmay et si Limoges n’avait point envoyé d’autres pièces.
« Pas que je sache, répondit Lavicomterie. Du reste, elle n’est plus entre nos mains. Jagot a présenté là-dessus un bref rapport, et,
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