Un vent d'acier
sous contrôle. De partout à la ronde, les paysans y portaient des vivres. Présentement, la division occupait, à environ une lieue en avant, les positions fixées pour la marche d’approche. Les grand-gardes ne signalaient pas d’ennemis aux environs, et le général ne voulait pas se trahir par des reconnaissances lointaines. Il demandait les ordres.
Pendant que l’officier parlait, un autre aide de camp était survenu, envoyé par Beauharnais. Celui-ci, ayant reçu des renseignements identiques à ceux de Dubois, signalait qu’il arrêtait son mouvement et repliait ses têtes de colonnes vers la Glane, car l’attaque projetée devenait impossible : au premier coup de canon sur Brunswick on attirerait non seulement Wurmser mais encore les troupes du roi de Prusse rendues libres par la reddition de la place. Muni d’une forte artillerie et d’une cavalerie nombreuse, Bernard eût tenté néanmoins la triple bataille, avec l’espoir de contraindre Frédéric à s’enfermer à son tour dans Mayence, et d’utiliser ses propres travaux de siège pour le contraindre à une capitulation. Le coup eût été joli et la revanche éclatante. Hélas ! cette artillerie, cette cavalerie nécessaires pour paralyser les mouvements des trois ennemis, manquaient. Soudain, une intuition saisit Bernard : Depuis hier, les forces de couverture ne servent plus à rien. Or le vieux Wurmser, malgré ses soixante-neuf ans, n’est pas homme à tenir une position inutile. Je gage qu’il fait déjà mouvement.
« La carte numéro 10, vite ! »
Laferières la sortit du portefeuille. Bon, il n’a guère pu se mettre en route hier, ou alors tard dans la relevée, mais plus probablement ce matin. Peu importe. Il n’a point dépassé notre parallèle. Ses flancs-gardes auraient accroché l’aile droite de Ferrette. Ce qui pourrait bien se produire d’un instant à l’autre, car il prend nécessairement son chemin principal par la vallée en se faisant éclairer sur les hauteurs. Pourquoi se lancerait-il péniblement et dangereusement dans le massif ? Il n’y a aucune raison, en le contournant il ne court aucun risque. Il ignore que presque toute notre armée est là, mais il sait que nous y avons des forces et il les coupe ainsi de leurs arrières. Donc il marche par là, le long du Rhin. S’il marche.
Une seconde, Bernard hésita. Ne se laissait-il pas abuser par son imagination ? Non, assurément. Brunswick pouvait lanterner, pas Wurmser. Ardent et prudent à la fois, le vieil homme devait agir de la sorte. Et, si l’on n’avisait pas au plus tôt, les armées du Rhin et de Moselle allaient se trouver débordées, tournées, isolées de la frontière.
« Écrivez ! » dit-il.
Pour le général Ferrette, il dicta l’ordre de descendre les pentes avec toute sa division, afin de renforcer son flanc et de chercher l’ennemi en faisant face au Rhin. Au général Dubois, ordre d’opérer une conversion à droite et de border le dernier ressaut des collines, pour soutenir Ferrette qui allait être engagé. Au général Duhau, remplaçant Leblée, ordre de se porter rapidement aux abords d’Hillesheim où allait se trouver la division Ferrette, et de s’établir en potence avec l’aile droite de celle-ci, de façon à couper la route aux Autrichiens descendant de Mayence. À tous les chefs des brigades encore échelonnées derrière Alzey et le Kloppberg, ordre de marche, avec changement de front oblique en avant, liaisons serrées entre les corps. Arrêter le mouvement lorsque la demi-brigade la plus à droite atteindrait la boucle du Rhin. Les généraux signaleraient alors leur position au grand quartier, aux environs immédiats d’Hillesheim, et attendraient les ordres.
Bernard se constituait ainsi une ligne de réserve, à quelque distance des parages où il prévoyait la rencontre. Enfin, tandis que les aides de camp galopaient pour porter ces messages, qu’un courrier était envoyé afin de prévenir Malinvaud et les commissaires de la Convention, il écrivit un mot à Beauharnais, le priant de suspendre son repli et de tenir les passages, car il fallait empêcher éventuellement Brunswick de rejoindre Wurmser à travers le Hardt.
Sitôt l’officier de Beauharnais parti, Bernard réenfourcha son cheval noir. Au grand trot, on contourna le Petersberg en longeant la rivière étincelante sous le soleil de midi, pour gagner le point où devait se faire la jonction de Duhau avec Ferrette.
Weitere Kostenlose Bücher