Un vent d'acier
surprise là-bas. On attaquerait donc les assiégeants dans des conditions plus favorables.
Peu après huit heures du soir, Bernard et son escorte atteignirent la brigade Pichegru, la plus avancée de la division Dubois établie en rideau dans la plaine en avant de Molsheim. C’était, en terrain découvert, l’élément le plus en flèche de toute l’armée. Des brigades détachées dans le massif montagneux en gardaient les passages jusqu’à cinq lieues en avant du mont Tonnerre. Ici, le dispositif n’avait pas changé depuis longtemps : rien ne pouvait donner l’éveil aux espions ennemis.
L’obscurité venue, Dubois fila en silence pour gagner la vallée de la Selz, tandis que les corps montant du sud arrivaient un à un. Les premiers, ayant fourni des marches relativement courtes, repartirent après un repos de deux heures. Les suivants, qui venaient de plus loin, furent remis en route seulement trois heures avant l’aube. Les derniers enfin, rejoignant à ce moment-là, demeurèrent sur place. De lasorte, toute la nuit les brigades avaient succédé aux brigades pour passer, d’un mouvement continu, dans la montagne. Et, au matin, rien dans le camp ne semblait avoir changé. Tout cela s’était exécuté avec l’exactitude d’un mécanisme. Bernard félicita le colonel Laferières pour ce roulement si bien réglé. « Maintenant, allons dormir », ajouta-t-il. Il ne s’était pas couché, accueillant les troupes à leur arrivée, leur parlant au moment du départ, leur expliquant pourquoi il leur faisait accomplir ces marches nocturnes. En outre, il se tenait, par messages, en liaison avec Beauharnais qui accomplissait sur l’autre versant une progression semblable.
À huit heures du matin, dans la fraîcheur ensoleillée, l’état-major se mit de nouveau en selle, et, à son tour, gagna la vallée de la Selz, laissant loin sur la gauche le mont Tonnerre dont les hauteurs inégales, bleuâtres, estompées, dominaient le pays. Les rayons du soleil, passant en diagonale par-dessus la vallée, plongeaient entre les sapins de longues flèches blondes. L’air était parfumé de merveilleuses senteurs sylvestres. Tout respirait la paix, mais partout, aux abords des chemins montueux, dans les combes, dans les petites landes parsemées de genévriers, sous bois, il y avait des bataillons au repos, avec leurs canons, les fusils en faisceaux surmontés des baïonnettes brillantes, des voitures de munitions, des sentinelles veillant, l’arme dans le bras. On ne devait pas bouger de tout le jour. Dans les ombres du soir seulement, les troupes reprendraient leur route pour se masser parmi les dernières coulées de l’éperon du Hardt, aux points indiqués par les états-majors des brigades. Elles y bivouaqueraient sans feux. La marche d’approche se ferait le 24 dès la pointe de l’aube, afin que l’on tombât sur l’ennemi avec le jour. Bernard était sûr que son chef d’état-major ne négligerait rien pour la parfaite application de ce plan, et cependant il se sentait de moins en moins en confiance.
À onze heures, on arrivait sur les plateaux, à mi-pente du Petersberg, après avoir fait étape à l’état-major de la division Leblée, commandée provisoirement par un des généraux de brigade, avec lequel Bernard et ses officiers avaient dîné sur le pouce. Il ne restait devant que la division Dubois. On se trouvait à environ quatre lieues de Mayence, bien plus près que le 19 quand on avait entendu le bombardement, et aujourd’hui l’air restait silencieux. Le vent, léger, venant du plein est, chassait peut-être le son. On aurait dû quand même percevoir la puissante vibration des batteries de 24. « Jean ! appela Bernard. Écoute au sol. » Lâchant le fanion à cravate, qu’il ne laissait à personne le soin de porter, Sage mit pied à terre, chercha un coin de sol nu où il appliqua son oreille. Au bout d’un moment, il se releva. « Rien », dit-il.
Aucun doute, la place était tombée. Mais depuis quand ? La réponse fut apportée presque aussitôt par un aide de camp de Dubois, qui cherchait depuis plusieurs heures le grand état-major dans les circonvolutions de cette contrée semblable à une cervelle verdoyante. Au matin, des coureurs envoyés par le général Dubois dans les hameaux des bords de la Selz y avaient appris la reddition de Mayence, survenue la veille, peu après midi. Depuis hier au soir, les communications avec la ville étaient rétablies,
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