Une irrépressible et coupable passion
Sagaponack pendant qu’il s’enfilait un grand verre de
whisky pour la route, avant de regagner New York dans la lourde nuit d’août
pour la soirée Bon Voyage à bord d’une goélette à trois mâts ancrée sur
l’East River. Judd tendit son carton d’invitation et un agent de sécurité
posant à l’officier marinier l’autorisa à embarquer d’un coup de sifflet.
Au sommet de la passerelle d’embarquement, Judd considéra
une centaine d’invités du milieu de la mode en costume marin, qui caquetaient
et gloussaient sous les lanternes de marine suspendues au-dessus du pont en
acceptant les hot-dogs, les canapés et le champagne Taittinger que leur
proposaient des serveurs attifés en matelots. Un acheteur de Bloomingdale salua
Judd, une de chez Macy’s le gratifia d’une accolade, mais il ne connaissait pas
grand monde en dehors d’eux. Des mannequins de haute couture paradaient sur la
goélette, exhibant les plus belles créations d’automne, mais la lingerie
n’était pas représentée, de sorte que Judd s’en tint à palper les étoffes et à
demander à l’une des filles si elle portait un modèle de chez Bien Jolie. Mais
non.
Un drapeau bariolé formé de sandwichs et de hors-d’œuvre se
déployait sur le buffet et Judd en chaparda quelques-uns. Ce fut alors qu’il
aperçut Ruth, au loin, vers la proue. Seule, le fixant avec maussaderie, mais
ensorcelante dans une grandiose robe de soirée blanche vaporeuse, parsemée de
petites perles rutilantes semblables à des gouttes de rosée. Elle se rendit
compte qu’il l’avait repérée et détourna les yeux avec réserve.
Judd remarqua que plusieurs hommes observaient Ruth,
rassemblant leur courage avant de l’approcher, et il subtilisa deux verres
tulipe remplis de champagne sur un plateau qui passait, puis la rejoignit avec
affabilité.
« Bonsoir, Ruth. Vous êtes exquise. »
Elle sourit.
« Vraiment ? Je me sens déplacée, parmi ces gens
de la mode. Je n’ai aucune idée des tendances de l’automne.
— Ourlets qui remontent, taille haute, silhouette
longiligne. »
Il lui tendit l’un des deux verres, mais elle refusa de la
tête, si bien qu’il le vida et le rendit à un serveur.
« Comment êtes-vous entrée ?
— J’ai encore des amis à Cosmopolitan, lui
apprit-elle, avant de regarder derrière lui, les yeux plissés. J’attendais
Harry – c’est lui qui m’a invitée.
— Alors je dois être son remplaçant.
— Eh bien, je ne perds pas au change, commenta-t-elle,
avant de baisser timidement les yeux. Vous avez reçu mes divagations ?
— Allons, je n’emploierais pas ce mot. Si je n’ai pas
répondu, c’est parce que j’étais en vacances à Sagaponack, cette semaine-là. Et
à mon retour, j’ai été débordé de travail. »
Elle le dévisagea avec un air sérieux et renchérit :
« Et vous éprouviez de la culpabilité. Vous vous
faisiez du souci pour votre sacro-sainte réputation et vous craigniez de perdre
Jane si votre femme découvrait la vérité. »
Judd émit un ricanement nerveux, mais Ruth, elle, n’y
trouvait apparemment rien d’amusant. Elle plongea dans les yeux de Judd un
regard résolu, humide et électrique, qui l’intimida.
« Ainsi, vous savez lire dans les pensées,
hasarda-t-il.
— Oui, capitaine. »
Judd se sentit instantanément idiot avec sa casquette de
skipper et acheva son second verre de champagne. Puis il s’accouda au
bastingage tribord et contempla les lambeaux de clarté lunaire qui ondoyaient
dans la nuit du fleuve.
« Je ne parviens pas à me libérer de vous, Ruth. Je
n’ai qu’à fermer les yeux et votre visage, votre corps splendide sont là. Je me
surprends à avoir envie de prononcer votre nom. À un moment, chaque fois que
mon téléphone sonnait au bureau, je m’imaginais à quel point je serais heureux
d’entendre votre adorable voix dans l’écouteur. »
À l’instar de Jane, qui imitait souvent les attitudes et les
poses de son père, Ruth croisa les bras sur le bastingage, puis, de l’épaule,
s’appuya légèrement contre Judd, lui accordant la grâce d’une once de
compréhension. Il glissa un bras autour de cette taille tellement plus fine que
celle de son épouse.
« J’avais honte de moi à cause de notre œuvre de chair
et de mon infidélité envers Isabel, continua-t-il, et j’ai été trop lâche pour
vous téléphoner ou consentir à vous voir, parce que vous êtes pour moi si
irrésistible que je ne
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