Une irrépressible et coupable passion
se débrouille pour être couverte en
permanence. Elle porte même de hideux pyjamas hommasses qu’elle doit dégotter
dans une boutique androgyne. Elle redoute que le moindre aperçu de son anatomie
ne “m’échauffe les sangs”, comme elle dit. »
Ruth s’amusa avec la verge de Judd.
« C’était donc ça tout à l’heure ? Il avait
chaud ?
— Mais tu as su apaiser la bête », plaisanta Judd.
Ruth se tourna vers lui et posa la tête sur son torse
d’albâtre imberbe.
« Parle-moi d’Isabel, pour éviter que je devienne comme
elle.
— Je n’en sais franchement pas long. Et je la pratique
d’une manière ou d’une autre depuis seize ans. Pourtant, en toute honnêteté, je
ne saurais te dire quels sont ses ambitions, ses espoirs, ses craintes ou ses
idéaux. Nous discutons rarement de sujets très élevés. Nous éduquons Jane, nous
allons à des fêtes de temps à autre, nous jouons au bridge avec des amis, nous
dansons. En apparence, toujours ensemble. Unis. Mais sans l’être.
— Albert est pingre et je suis généreuse, exposa Ruth,
en ébauchant de l’ongle des formes abstraites sur la peau de Judd. Il a un
caractère horrible. Il est critique, accusateur. Il déteste le cinéma ou la
danse. Et vu qu’il a toute une flopée de hobbies, à la maison, il est tout le
temps en train de bricoler au sous-sol et dans le garage ou de hanter le
grenier avec ses bouquins comme un vieux barbon, égrena-t-elle, avant de lever
les yeux vers le visage de Judd. Je le méprise.
— Ne dis pas ça ! »
Ruth parut déconcertée.
« Pourquoi pas, si c’est vrai ?
— Dis que vous êtes mal assortis. Dis que vous n’êtes
pas d’accord et que votre mariage est moribond. Mais ne laisse pas la haine te
ronger de l’intérieur. »
Elle le dévisagea comme s’il venait inopinément de
s’adresser à elle en russe, ravalant ainsi son opinion au rang d’étrange
incongruité. Puis, aussitôt, elle glissa dans un autre état d’esprit et
minauda :
« Oh, s’il te plaît, Bud, est-ce qu’on pourra revenir
ici ? »
Il sourit.
« Quand tu voudras.
— Et au Henry’s. Ce sera aussi chez nous. »
« Je ne faisais plus face à Isabel qu’avec
appréhension. J’aurais voulu avouer, m’en remettre à sa merci, implorer son
assistance avant qu’il ne soit trop tard. Je n’en avais pas le courage. Je
n’arrêtais pas de me sermonner : “Ça ne peut pas durer. Ce serait un
manquement à ma famille, une disgrâce, un malheur pour nous tous.” Je me disais
que Ruth ne m’aimait pas réellement, que c’était impossible. Notre liaison
devait prendre fin. »
Mais elle continua. Ruth qualifiait leurs rencontres de
« rendez-vous galants », Judd n’y voyait que « péché », et
leurs séjours hebdomadaires au Waldorf-Astoria se firent si réguliers que Judd
acheta une valise en cuir rouge destinée à demeurer à la disposition de
Mr et Mrs Gray dans la réserve de l’hôtel. Ruth la remplit d’un
trousseau qu’ils achetèrent ensemble : un pyjama en soie et un peignoir
pour homme, un ensemble coordonné pour Ruth, des pantoufles de satin blanc, des
brosses à cheveux, un fer à friser, un crayon à paupières bleu, une lime à
ongles au manche en nacre, cinq coloris de vernis à ongles, trois brosses à
dents, du bicarbonate de soude, une trousse de couture, trois bâtons de rouge à
lèvres Helena Rubinstein de nuances différentes, du fard à joues Richard
Hudnut, des savons parfumés Erasmic (de Londres), des serviettes hygiéniques
Kotex, une boîte de comprimés Midas, de la poudre déodorante Amolin, un
assortiment de poudre et de crème Day Dream, du talc Mavis, une houppe à
poudrer, un rasoir de sûreté Gillette et un tube de crème à raser rapide
Colgate, ainsi que le roman Les hommes préfèrent les blondes, d’Anita
Loos, avec la dédicace : « Comme si tu ne le savais pas ! Ton
Bud ». Mais leur « balluchon de noces », comme l’appelait Judd,
contenait aussi divers articles qui devaient aviver le scandale entourant leur
liaison lorsque les journaux en publieraient l’inventaire : des
préservatifs Trojan, du lubrifiant K-Y, des suppositoires vaginaux et une poire
à lavement en caoutchouc vert. Ces objets se retrouvaient dans bien des foyers
américains, mais toujours dissimulés, et les découvrir aussi crûment énumérés
en première page souligna l’immoralité du couple, non de la presse elle-même.
En réalité, Ruth et
Weitere Kostenlose Bücher