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Une irrépressible et coupable passion

Une irrépressible et coupable passion

Titel: Une irrépressible et coupable passion Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Ron Hansen
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suis plus maître de mes émotions ni de ma conduite. Et
maintenant, j’ai honte de mon infidélité envers vous, d’avoir nié la félicité
que vous m’apportez, avoua-t-il, tournant la tête vers elle. Je suis fou de
vous, Ruth.
    — Moi aussi, j’ai le béguin pour vous »,
affirma-t-elle.
    Mais elle s’écarta du bastingage et s’éloigna si brusquement
vers la poupe, juchée sur ses talons hauts, que Judd fut contraint de tricoter
des gambettes tel un terrier pour la rattraper.
    « Ne dites rien », l’avertit-elle, et Judd
respecta sa mise en garde tandis qu’ils se promenaient sur le pont.
    Judd considéra un ferry qui remontait avec lenteur l’East
River en direction du Sound, le détroit de Long Island, puis la circulation
animée et les lumières luisantes du Queensboro Bridge, puis l’horizon
iridescent et scintillant de la ville, aveugle à toutes les aventures
scabreuses de cette nuit d’août torride. Ruth paraissait insensible au tribut
de regards masculins qu’elle levait sur son passage. La lune faisait briller
ses larmes.
    Enfin, elle se lança dans un monologue qui semblait tiré
d’un magazine à l’eau de rose comme Romance ou True-Story :
    « J’en suis restée debout la nuit, à me rappeler
comment j’étais tombée amoureuse de vous à Zari’s. De votre douceur, votre
sympathie, votre intérêt pour moi. Ma vie m’est devenue intolérable, Judd. Le
bonheur dont j’ai tant manqué pendant des années est aujourd’hui
irrémédiablement perdu. Albert ne me touche plus que pour assouvir ses propres
pulsions. Mais je lui cède, parce que ainsi, je peux rêver que c’est vous, mon
mignon à moi. »
    Elle pleurait, mais lorsqu’elle se retourna vers lui, elle
s’efforça de sourire.
    « Avez-vous conscience que je suis toute à vous ?
Franchement, faites de moi ce que vous voulez. Je serais prête à fuir avec
vous. À tout. »
    Des acclamations réjouies s’élevèrent près du mât de misaine
lorsque cinq girls à demi nues des Earl Carroll’s Vanities furent
malicieusement introduites par Peggy Hopkins Joyce, actrice aussi célèbre
qu’acerbe et qui, à trente-deux ans, en était déjà à son quatrième richissime
époux.
    « Vous savez, confia Peggy en aparté, il y a des fois
où je me réveille juste après midi – en général, nous ne nous levons
jamais avant deux heures – et quand je regarde Gustave sur l’autre lit, je
me dis : “Mon Dieu, qu’est-ce qui m’a pris d’épouser ça ?” »
    Il y eut des éclats de rire, mais Ruth lâcha :
    « Ça m’interpelle d’un peu trop près.
    — Vous voulez partir ? » proposa Judd.
    Elle acquiesça de la tête.
     
    Judd héla une calèche pour une promenade romantique jusqu’au
Waldorf-Astoria, au coin de la 5 e  Avenue et de la 33 e  Rue.
Ruth l’aurait volontiers embrassé là, en public, mais Judd lui opposa d’un ton
guindé :
    « Nous ne pouvons pas perdre la tête. »
    Ruth nota la patine verdâtre du toit en cuivre oxydé de
l’hôtel et Judd lui expliqua qu’on appelait ça du vert-de-gris.
    « Vous avez déjà entendu l’expression “heureux les
innocents” ? » rétorqua-t-elle, avant de sourire et de lui poser un
doigt sur les lèvres pour le faire taire.
    Elle confessa qu’elle n’était jamais entrée dans les deux
hôtels victoriens de grès brun que la famille Astor avait réunis en un seul,
sous la direction de George C. Boldt, réputé être l’inventeur de l’hôtel
moderne. Depuis longtemps à la retraite, Boldt avait été remplacé au poste de
gérant par une amène Norvégienne qui se prénommait Jorgine, américanisée en
Georgia. Elle avait déjà discuté avec Judd et ce fut avec un sourire qu’elle
l’apostropha ce soir-là :
    « Ohé, matelot ! Qu’avez-vous fait de votre
bateau ? »
    Judd retira sa casquette, répondit à la directrice qu’elle
n’avait jamais, croyait-il, rencontré son épouse et présenta Ruth en tant que
Mrs Jane Gray, avant de la coucher sous ce nom dans le registre. Comme ils
gravissaient l’escalier, Ruth lui souffla :
    « Vous ne vous sentez pas canaille ?
    — Si, délicieusement. »
    Elle baissa les yeux et s’exclama avec excitation :
    « Cette moquette est aussi moelleuse qu’une
éponge !
    — John Jacob Astor affirmait que c’était l’hôtel le
plus luxueux du monde. Bien sûr, c’était il y a trente ans. »
    Ruth frôla de la main le papier peint floqué, puis
s’émerveilla

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