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Une irrépressible et coupable passion

Une irrépressible et coupable passion

Titel: Une irrépressible et coupable passion Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Ron Hansen
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mariage, je me disais : “Ça n’a rien
d’irrévocable. Je peux toujours divorcer.” Et alors, j’ai été violemment
malade. Maman a raconté à Albert que j’avais la grippe pour ne pas le vexer et
quand il est rentré seul à la maison ce soir-là, je me suis rendu compte que je
jubilais. Au bout de quelques jours, j’ai dû admettre que j’étais rétablie et
j’ai découvert que ce vieux grincheux avait renoncé à nos vacances à Poconos
après avoir annulé nos réservations d’hôtel, si bien que nous n’avons jamais
fait de voyage de noces, soupira-t-elle, en embrassant l’épaule fraîche de
Judd. C’est le premier, pour moi. Et je suis folle de joie. »
    Judd exhala sa fumée.
    « Et moi, j’en suis heureux.
    — Je n’ai jamais éprouvé de plaisir sexuel avec Albert,
rien que du dégoût et… c’est quoi le mot, quand on se trouve minable ?
    — De l’avilissement ? »
    Elle se blottit contre Judd.
    « Chaque fois qu’il grimpe dans mon lit, j’ai envie de
le tuer. »
    Judd conserva le silence.
    « Tu m’écoutes ?
    — Oui. »
    Le matelas bougea lorsqu’il se tourna pour écraser sa
cigarette.
    « J’ai envie de le tuer », répéta-t-elle.
    Les pensées de Judd flottaient comme la fumée de sa
cigarette. Ruth devina qu’il tâchait de former des phrases, mais elles se
désagrégeaient presque instantanément sous l’effet de l’hésitation et il se
borna finalement à avancer :
    « Il faut que je dorme. »
     
    Elle se réveilla alors qu’il l’embrassait sur le front,
habillé et rasé, parfumé à l’eau de Cologne.
    « J’y vais, annonça-t-il.
    — Oh, s’il te plaît, tu ne veux pas rester pour jouer
avec moi ?
    — Je suis en voyage d’affaires, Ruth, déclara Judd,
avec un air sérieux. J’ai des obligations envers mes employeurs. »
    Elle remarqua qu’il avait à la main un verre à demi rempli
de whisky.
    « Tu bois ?
    — Remède contre la gueule de bois », lâcha-t-il,
et il acheva son scotch avant de quitter la chambre.
    Aux côtés de Judd pendant des journées entières, Ruth prit
conscience des quantités d’alcool qu’il ingurgitait. Un petit remontant pour
reprendre du poil de la bête au réveil, un petit supplément dans sa tasse pour
« donner de la cuisse à son café » au petit déjeuner, une gorgée de
sa flasque suivie de réglisses Sen-Sen avant d’entrer dans une boutique avec
ses valises d’échantillons, gin et Ginger Ale au déjeuner, quelques goulées
encore de sa flasque dans l’après-midi et, dès cinq heures, biberonnage à temps
plein.
    Ruth s’inquiétait tant de la consommation de Judd qu’après
avoir paressé les premiers jours, à Kingston, à Albany et à Troy, elle décida
de l’accompagner lors de ses rendez-vous du jeudi à Schenectady. Elle patienta
dans la Chevrolet devant le premier magasin, mais s’ennuya tellement –
l’autoradio n’ayant pas encore été inventé – qu’elle souligna ses lèvres
avec du rouge longue tenue Kissproof et vint avec Judd dans les boutiques
suivantes. Il la présenta comme son épouse, ce qui excita Ruth, mais les autres
mensonges de Judd lui plurent moins : il ajouta qu’elle était diplômée de
l’université pour femmes de Smith Collège, un mannequin de mode très coté et
qu’on retrouverait « la silhouette de rêve de Mrs Gray dans le
prochain catalogue Bien Jolie  ». Comme si elle n’était pas assez
bien telle quelle.
    Elle jugea le laïus de Judd trop guindé : « Vos
robes de premier choix, arguait-il, ne méritent-elles pas un soutien aussi
parfait que celui offert par cette exquise gaine une pièce ? » Il
était parfois aussi trop professoral : « Pardonnez-moi, Miss, mais le
nom de notre marque se prononce “Bien Jo-lit”. » Néanmoins, il flirtait
même avec les vendeuses et les boutiquières les plus quelconques et il savait
prendre un air éminemment captivé et compréhensif, les sourcils froncés comme
s’il écoutait attentivement et faisait siens leurs joies et leurs chagrins.
Judd les complimentait sur leur nouvelle coiffure, faisait l’éloge de leurs
ongles vernis et manucurés, de leur choix de parfum, de leurs colifichets et
autres atours que les autres hommes ne remarquaient jamais. Et malgré la
présence de Ruth, ces dames étaient pour le moins affectueuses : elles
étreignaient joyeusement Judd contre elles pour le saluer, elles embrassaient
son beau visage, leurs mains se posaient avec

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