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Une irrépressible et coupable passion

Une irrépressible et coupable passion

Titel: Une irrépressible et coupable passion Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Ron Hansen
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un microphone de l’orchestre pour attribuer la paternité de la
chanson qui allait suivre à Irving Berlin, puis entonnait l’introduction de Always.
    Judd saisit fermement l’épaule droite de Ruth et elle fit
volte-face avec une surprise qui se mua en joie lorsque Judd prononça :
    « Me ferez-vous l’honneur de cette danse,
Mrs Snyder ?
    — Mais bien sûr », acquiesça-t-elle, avec un grand
sourire, avant de s’abandonner au rythme gracieux de la valse.
    « Tu as bu ? s’étonna Judd.
    — Un peu. J’étais bruyante ? Albert dit que je
suis bruyante quand je bois. C’est l’une des raisons pour lesquelles je
m’abstiens. Le bruit. Et ça me rend malade.
    — Tu t’es coupé les cheveux.
    —  Vogue appelle ça “la coupe Eton”. Le vieux
crabe trouve que c’est trop masculin. Avec Kitty, on s’ennuyait.
    — Et tu es toute hâlée.
    — Toi aussi.
    — Tennis, golf… »
    Il adressa un regard mauvais aux étudiants qui le
regardaient du même œil.
    « Je ne t’avais jamais vue aussi “garçonnière”,
déclara-t-il, rien que pour le jeu de mots.
    — Oh, ils ne sont rien pour moi. Tu le sais, quand
même ?
    — Franchement, j’avais besoin d’être rassuré. »
    Ruth prêta l’oreille à la chanteuse et eut un sourire
éméché.
    « Et si nous faisions de cette chanson la nôtre ? Always. D’accord ? »
    Et, de sa voix de baryton, Judd reprit le refrain et jura à
Ruth de l’aimer à jamais, d’un amour sincère à jamais, et de lui venir en aide
si jamais elle avait besoin d’un coup de main dans ses projets. Always. À
jamais.
     
    Comme elle n’avait pas envie de rejoindre Pépère, vu qu’il
n’était pas encore minuit, ils marchèrent jusqu’à West Meadow Beach où, après
s’être bécotés comme des gosses, ils s’assirent côte à côte sur des blocs de
pierre qui sentaient le poisson, tandis que Ruth posait la tête sur l’épaule de
Judd. Elle contempla en contrebas la marée montante qui recouvrait une dalle
rocheuse en pente douce, glissait sur elle telle une main sur une table en
ébène pour en essuyer la poussière argentée. Judd but une gorgée de sa flasque
et Ruth lui confia :
    « J’ai bien failli devenir veuve cette semaine. »
    Le visage de Judd ne trahit aucune réaction. Elle lui apprit
qu’Albert faisait tourner le moteur de la Buick dans leur garage de Setauket
pour régler les poussoirs de soupapes et la distribution quand il s’était senti
faiblir, pris de vertige, et avait constaté que les portes, qu’il avait
ouvertes en grand, s’étaient, contre toute attente, refermées. Mais il avait
quand même réussi à rejoindre l’air libre, chancelant.
    « Ce salaud a neuf vies, conclut Ruth.
    — Huit, maintenant », rectifia Judd, levant à
nouveau sa flasque.
    Ruth sourit.
    « Voilà ! Ce n’est qu’une affaire de soustraction,
pas vrai ? »
    Judd ne répondit rien. L’alcool l’avait dépossédé de son
vocabulaire.
    Des éclairs brillaient et le tonnerre grondait au loin,
au-dessus du Sound. La brise était porteuse d’effluves de pluie.
    « Tu ferais mieux de ne pas tarder », préconisa
Ruth.
    Judd se mit à quatre pattes, puis se redressa de façon
hésitante.
    « Pas d’roblème », la rassura-t-il.
    Elle se leva et le serra dans ses bras.
    « Je suis contente que tu aies été jaloux au point de
venir. »
    Mais Judd se contenta de se détourner et de repartir en
louvoyant d’un pas inégal vers Port Jefferson, en quête d’un taxi.
     
    En septembre 1926, Judd et Isabel consacrèrent le week-end
de la fête américaine du Travail à visiter des concessions automobiles à Newark
et East Orange et achetèrent neuf, pour cinq cent quatre-vingt-quinze dollars,
un cabriolet Chevrolet Series V Touring à quatre portes, de couleur crème,
avec des pneus à flancs blancs, ainsi que des ailes et des marchepieds noirs
assortis à la capote en toile. Isabel avait consenti à cette extravagance après
que Judd eut évoqué combien Jane et ses amies rigoleraient lorsqu’ils les
emmèneraient en balade – « Elles auront l’impression d’être tout en
haut d’un chariot », avait-il fait valoir, mais en réalité, il rêvait de
Ruth, pelotonnée contre lui, dans l’air vif de l’automne qui relèverait le bord
de son chapeau, leurs écharpes en laine ondoyant au vent derrière eux. Et de
fait, dès qu’elle entendit parler du cabriolet, Ruth l’implora au téléphone
comme une

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