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Une irrépressible et coupable passion

Une irrépressible et coupable passion

Titel: Une irrépressible et coupable passion Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Ron Hansen
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faire deux voyages, au cas où le personnel de l’hôtel serait un
peu trop zélé. »
    Haddon sourit et agita l’index comme une maîtresse d’école.
    « Ah, quelle toile compliquée n’ourdit-on pas quand on
s’adonne à la dissimulation pour la première fois…
    — Toi aussi, tu t’es retrouvé dans cette situation-là,
l’ami ? »
    Haddon se rembrunit.
    « Hé, c’est le cas d’un mari sur trois, protesta-t-il.
C’est scientifiquement prouvé. »
    Judd attendit que la serveuse retournât en cuisine, sortit
sa flasque de brandy de la poche de sa veste et en versa un doigt dans leurs
tasses de café.
    « Voyons si ce café a assez de cuisse pour tenir
debout », chuchota Judd, avec un sourire.
    Haddon leva sa tasse à la santé de Judd, but une gorgée et
émit un soupir de plaisir. Il plissa le front.
    « J’essaye de me souvenir comment tu surnommes ta
souris.
    — Mounette », lui rappela Judd.
     
    Comme Lorraine et elle marchaient de Pennsylvania Station au
Macy’s de Herald Square, Ruth décréta qu’elle serait bientôt riche et héla
plutôt un taxi pour aller au luxueux grand magasin de Joseph et Lyman
Bloomingdale, au coin de la 59 e  Rue et de Lexington Avenue.
Éberluée, Lorraine y vit sa mère dépenser une fortune pour une robe d’enfant à
col marin, en satinette blanche décorée de broderies bulgares, un chapeau de
fille en feutre avec un pompon sur le côté et un manteau en lamé taille dix
ans, au col et aux poignets ornés de lapin de Viatka teint.
    Ruth aida sa fille à porter ses habits de Pâques emballés
dans du papier jusqu’au rayon vêtements féminins, où Lorraine entendit sa mère
murmurer à la vendeuse :
    « Je dois assister à un enterrement. »
    Puis Lorraine étudia, évalua et entérina les achats de sa
mère, à savoir des escarpins vernis, une robe en soie noire dessinée par Jeanne
Lanvin et un manteau en soie noire à col d’hermine teint.
    Après quoi, elles s’offrirent un déjeuner extravagant au
Palm Court, le restaurant du Plaza Hotel. Constatant les prix salés sur le
menu, Lorraine s’alarma :
    « À quoi j’ai droit ? »
    Et Ruth sourit.
    « À tout ce que tu veux, dorénavant, bébé. Tout ce que
ton cœur désire. »
     
    À deux heures moins le quart, Haddon regagna son bureau et
Judd remonta dans sa chambre afin de rédiger, sur le papier à en-tête de
l’Onondaga, une lettre pour Ruth. Dans le coin supérieur droit, il
inscrivit : « Syracuse, samedi, six heures du soir », car le
dernier train pour Manhattan partait à quatre heures. « Comment diantre
vas-tu, en cette belle et radieuse journée ? Bon sang, j’ai l’impression
de revivre après toute la pluie d’hier et si le temps est favorable demain,
tout sera impeccable – nous avons déjà eu trop de dimanches sinistres, ils
sont en règle générale bien assez solitaires sans que s’y ajoute la
pluie. » Il raconta que Haddon avait fait un saut, « histoire de
sourire un brin », et mentionna qu’il irait peut-être voir un film ou un vaudeville
au Strand après le dîner, « même si ce temps chaud ne donne pas des masses
de pep. Je suis vanné en fin de journée. » Il se demandait si ce n’était
pas ce soir-là qu’elle avait une autre soirée bridge avec Mr et
Mrs Fidgeon et espérait innocemment qu’elle passerait « un bon moment
pour nous deux – mais veille à être sage ». Il ajoutait qu’il avait
l’intention de rendre visite à sa tante Julie à Cortland ce dimanche-là, car il
ne l’avait pas « vue depuis la Noël ».
    Il cacheta le pli et l’affranchit, l’adressa à Mrs Jane
Gray, à Queens Village, puis composa une lettre similaire pour son épouse,
qu’il signa « Tendrement, Bud », et adressa au 37, Wayne Avenue, East
Orange, New Jersey. Enfin, il remplit son relevé de ventes hebdomadaire pour
Benjamin & Johnes. Il appuya les trois enveloppes contre les
oreillers du lit pour que Haddon ne pût pas les manquer, fit une rapide
toilette, brossa sa chevelure châtain-brun ondulée, enfila une nouvelle chemise
amidonnée à poignets mousquetaire, car celle de ce matin-là était trempée de
sueur froide, revêtit son pardessus gris à chevrons, ses gants gris en daim,
ainsi que son feutre mou, et flâna jusqu’à la loge de l’Elks Club pour boire le
coup de l’étrier et tâcher de remplir sa flasque de whisky.
    Le trajet de Syracuse à New York lui était si familier qu’il
connaissait les

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