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Une irrépressible et coupable passion

Une irrépressible et coupable passion

Titel: Une irrépressible et coupable passion Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Ron Hansen
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George.
    Elle sourit.
     
    Judd fut réveillé par une main qui lui secouait l’épaule et
apprit du chauffeur de bus qu’il était à l’arrêt désiré à Queens Village. Il descendit
sur le trottoir, à l’intersection de Jamaica Avenue et de la 222 e  Rue,
des gouttes dans la figure. Toujours ivre, il perdit l’équilibre, mais se
rattrapa au pied d’un lampadaire à arc. À sa surprise, il serrait encore
fermement sa mallette dans la main gauche. Il palpa ses poches de pardessus et
y dénicha ses gants en daim. Il les avait payés onze dollars. Des couples le
dépassaient sous la pluie, mais il savait qu’il était du genre insignifiant,
celui auquel les gens ne font pas attention, et parcourut sans appréhension les
quelques pâtés de maisons qui le séparaient du domicile des Snyder, au nord.
    Il demeura planté un moment face à la maison jaune crème qui
faisait le coin, à l’affût du moindre mouvement, ayant repéré de la lumière
dans la cuisine, la salle de musique et le couloir du premier étage. Ruth avait
affirmé que Joséphine serait chez un malade à Kew Gardens. La grande porte
d’entrée blanche en façade, à l’ouest, serait fermée à clé, avait-elle précisé,
et Judd se rappela confusément qu’il était censé emprunter la porte de la
cuisine, au sud, à côté du garage une place. La Buick d’Albert n’était pas à
l’intérieur.
    Sous le porche de la cuisine, il se heurta le tibia au
casier en bois destiné aux bouteilles de lait, émit une plainte et regarda
alentour pour vérifier qu’on ne l’avait pas entendu. Le voisinage dormait.
    Judd essaya d’ouvrir et constata que la porte n’était pas
verrouillée, comme Ruth l’avait promis. Elle avait laissé sur la table de la
cuisine un paquet neuf de cigarettes Lucky Strike – elle avait oublié la
marque préférée de Judd –, ce qui devait signifier que la famille n’était
pas rentrée. À moins que ce fut le contraire. Il tendit l’oreille. Le silence
régnait dans la maison, exception faite du léger murmure de la chaudière brûlant
son charbon au-dessous de lui. Ce qui ne l’empêcha pas de s’exhorter au silence
quand il fit crisser les pieds d’une chaise en la tirant, avant de s’asseoir
dessus lourdement. Il avait mal au crâne. Il cala ses coudes sur ses genoux
écartés et enfouit la tête dans ses mains. Il eût été si agréable de dormir.
    Mais Pip le canari gazouilla dans sa cage et réveilla juste
assez Judd pour qu’il se levât, les yeux fixés sur le paquet de cigarettes et
son slogan : «  Lucky Strike  – it’s toasted  ».
« C’est moi qui suis grillé », songea-t-il, comme il chancelait sur
place. Se souvenant qu’Albert ne fumait que des cigares et risquait d’avoir des
soupçons, Judd empocha le paquet, puis gravit d’un pas pesant l’escalier en
chêne situé entre la salle à manger et la salle de musique, trébuchant sur
plusieurs des marches et, une fois à l’étage, suivit le couloir jusqu’à la
salle de bains, pour uriner d’urgence. Dans la glace de l’armoire à pharmacie,
son visage lui apparut si creusé, si maladif, si repoussant que Judd en
plaignit le propriétaire, avant de sourire de ce trait d’esprit. Il reprit le
couloir jusqu’à la chambre de la mère de Ruth, située juste au-dessus de
l’entrée, heurtant le mur et glissant de l’épaule droite contre le papier peint
à fleurs. Les grilles de ventilation soufflaient de l’air chaud et l’atmosphère
était épaisse comme du sang. Judd pensa à ne pas allumer le plafonnier et ôta
péniblement son feutre, son pardessus et sa veste en laine grise, qu’il jeta au
fond de l’armoire de Josephine avec agacement, puis s’écroula dans le moelleux
fauteuil en velours à côté du lit suédois blanc. Avec effort, il consulta
l’horloge Ingersoll sur la coiffeuse de Josephine, tourna le cadran pour capter
un peu de la lumière du couloir, et estima que les aiguilles devaient indiquer
environ une heure, en ce dimanche matin.
    Alors, il se remémora enfin le plan des opérations que Ruth
lui avait détaillé une semaine auparavant dans une lettre. Qu’il avait brûlée.
Il souleva avec intérêt l’oreiller de Josephine et trouva en dessous, comme
convenu, la pince d’électricien, le contrepoids de cinq livres et une flasque
de vingt-cinq centilitres de whisky, que Judd déboucha et renifla. Ruth la
destinait à Albert, au cas où, et elle l’avait assaisonnée de chlorure

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