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Une irrépressible et coupable passion

Une irrépressible et coupable passion

Titel: Une irrépressible et coupable passion Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Ron Hansen
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s’arrêta à un guichet Pullman afin d’acheter
son billet retour pour Syracuse. Reginald Rose, jeune guichetier à la peau mate
qui, lors du procès dans le Queens, se verrait prêter des « allures de
jeune cheikh », devait se souvenir d’Henry Judd Gray en raison de
l’excentricité de sa requête – une couchette Pullman pour un trajet
jusqu’à Albany en milieu de matinée.
    Judd n’avait pas mangé, mais les odeurs de la cafétéria de
Grand Central l’écœurèrent tellement qu’il fuit la gare par la 42 e  Rue.
Malgré la pluie, il longea la 5 e  Avenue à pied pour rejoindre
Pennsylvania Station. « Pourquoi j’ai marché jusqu’à Penn Station, je n’en
sais rien, si ce n’est pour tuer le temps. » Il lui semblait que ses pas
ne produisaient aucun son, de sorte qu’il jeta des pièces devant lui sur le
trottoir, rien que pour les entendre tinter. Les passants s’écartaient de lui
quand il vacillait.
    À Penn Station, il acheta un hot-dog agrémenté de choucroute
et s’efforça de lire les derniers scandales dans le New York Graphic, mais
comme l’éclairage de la gare lui faisait mal aux yeux, il se borna à fixer les
voluptueuses sculptures d’Audrey Munson, imaginant Ruth encore plus ravissante,
et sortit dans la nuit pour sauter dans un bus à destination de Queens Village,
encore indécis, affirma-t-il par la suite, quant à ce qu’il ferait une fois sur
place.
     
    Serena Fidgeon tâcha de distraire Lorraine avec Favorite
Fairy Tales (« Mes contes de fées préférés »), le seul livre pour
enfants de la maison, mais la fillette dénicha une pile de magazines Motion
Picture et passa sa soirée plongée dans des articles sur Colleen Moore,
Ramón Novarro ou Norma Shearer. Autour de la table pliante, Howard Eldridge et
son épouse, des voisins de la même rue, se joignirent à Cecil Hough et sa femme
tandis qu’Albert, Milton, Serena et le plus jeune frère de celle-ci, George,
jouaient au bridge dans la salle à manger. Le Dr George Stanford, de
l’hôpital St Mark, papillonnait d’une table à l’autre pour remplacer les
joueurs qui souhaitaient faire une pause et Ruth, elle, s’en tint à jouer la
mouche du coche, à bavarder affablement ou à feuilleter les magazines de cinéma
avec sa fille. Milton submergea toute la soirée les bridgeurs de ses fameux
martinis et, très tôt, Ruth s’en fut en cuisine pour suggérer au maître de
maison au shaker chromé : « Vous voulez bien donner ma part à
Al ? »
    George Hough et Albert avaient tendance à être susceptibles
sous l’emprise de l’alcool et, vers minuit, incapable d’oublier les vieilles
querelles, George rapporta bien haut à Howard Eldridge son altercation avec
Albert, trois semaines auparavant, quand ce dernier l’avait accusé d’avoir volé
son portefeuille.
    « Et soixante-quinze dollars », ajouta Albert,
avec un regard furieux.
    Sur le canapé à côté de Lorraine, Ruth épiait, fascinée, la
dispute qui se ranimait, en se demandant si cela servait ou desservait ses
desseins. Derechef, George se vexa et lança :
    « Quand même, c’est plutôt mesquin d’accuser un groupe
d’amis d’une chose pareille.
    — Que tu dis », lâcha Albert.
    Et George Hough de retomber en enfance :
    « Ouais, que je dis. Vous voudriez peut-être m’en
empêcher ?
    — Il ne faudrait pas beaucoup me forcer… », grinça
Albert.
    Mais il était tellement saoul qu’il eut de la peine à se
lever et se rassit aussitôt sur sa chaise.
    « Allons ! intervint Milton. Nous ne voulons pas
de grabuge.
    — Ça me fait pas peur, moi, proclama Albert.
    — Pareil », riposta George, à qui les mots
faisaient défaut.
    Serena admonesta son frère :
    « Nous ne pouvons pas nous permettre une nouvelle
visite de la police. »
    Cecil Hough avait quitté la table pliante et, accroupi
auprès de son cadet, lui parlait sévèrement à l’oreille. George entendit
raison, Cecil et Howard l’aidèrent à se mettre debout, le guidèrent jusqu’au
canapé, et il s’affala contre Ruth. Albert n’en remarqua rien, tout aux louanges
sur sa musculature et ses dons de boxeur dont Milton le couvrait afin de
l’amadouer. Groggy, George Hough leva les yeux vers Ruth et réussit à
articuler :
    « Il vous traite bien, à la maison ? »
    Elle fit imperceptiblement signe que non, de la tête, comme
si elle craignait de s’exprimer.
    « Quelqu’un devrait zigouiller ce vieux crabe »,
marmonna

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