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Une irrépressible et coupable passion

Une irrépressible et coupable passion

Titel: Une irrépressible et coupable passion Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Ron Hansen
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lui.
    « Je ne l’ai pas vu depuis un moment. Il doit être sur
les routes dans le nord de l’État, je suppose.
    — Du nouveau de ce côté ? »
    Dans l’intention d’esquisser une autre version des
événements de la soirée, au cas où les choses tourneraient mal, Ruth
affirma :
    « Nan, je lève le pied. J’essaye d’éloigner Judd autant
que possible d’Al – il menace de le tuer.
    — Oh, les hommes disent toujours des trucs comme ça, la
rassura Kitty.
    — J’ai quand même peur qu’il fasse une bêtise. »
    Kitty vérifia l’heure et souleva le bonnet de bain.
    « Il faut qu’on rince le décolorant et qu’on te fasse
un shampooing, diagnostiqua-t-elle. Si on laisse agir trop longtemps, ça brûle
les cheveux. »
    Ruth se pencha à nouveau au-dessus de l’évier et, tout en
ouvrant le robinet, Kitty considéra le surplus de produit dans la casserole.
    « Flûte, râla-t-elle. J’en ai encore trop fait.
    — Mets-moi ça dans une bouteille, je le servirai à mon
mari », proposa Ruth.
    Kitty s’esclaffa.
     
    Le Post-Standard de Syracuse prévoyait des
températures au-dessus des quinze degrés, aussi Judd abandonna-t-il son
pardessus gris à chevrons et ses gants gris en daim dans sa chambre d’hôtel
pour parcourir les quelques blocs qui le séparaient du cabinet d’assurance de
Haddon, dans l’immeuble Guerney, cherchant le soleil pour en savourer la
chaleur sur son visage. Un chariot de foin tiré par des chevaux stationnait
entre une vieille Ford T et une Hudson-Essex garées en épi le long de la
rue.
    Au rez-de-chaussée, dans les locaux de
Hills & Co, « Immobilier et Assurances », la chevelure
noire brillantinée, la raie au milieu, la moustache coquette, luisante de cire,
les mains grandes ouvertes sur un éventail de dépliants, dans une attitude
suggérant qu’il leur livrait l’univers sur le plateau en chêne de son bureau,
Haddon Jones vendait un contrat d’assurance incendie à un couple d’agriculteurs
sceptiques et renfrognés. Remarquant son ami, il s’excusa pour serrer la main
de Judd.
    Haddon semblait encore plus grand, plus longiligne, plus
disproportionné qu’au lycée William-Barringer, où on avait surnommé les deux
camarades mal assortis « Mutt & Jeff », d’après la
bande dessinée éponyme qui commençait alors à avoir du succès.
    « Installe-toi là, déclara Haddon. J’ai l’impression
que ça risque de prendre un bout de temps. Mais content de te voir, Bud.
    — Moi de même. »
    Judd patienta une demi-heure dans le salon d’attente, à tourner
les pages d’un exemplaire du Saturday Evening Post, son feutre gris sur
un genou. Son esprit était une volière, une cacophonie de pensées
virevoltantes. Il ne se rappelait pas un seul article qu’il avait lu. Il
entendit Haddon soutirer à l’agriculteur une décision à laquelle ce dernier
semblait rechigner et, finalement, il se leva.
    « On déjeune ensemble ? » lança-t-il en
direction de la pièce voisine.
    Son ami acquiesça de la tête.
    Il était dix heures et demie.
    Judd fit les vitrines et, dans un bazar, acheta un foulard
de cow-boy bleu marine à soixante cents, d’après lui identique à celui de Tom
Mix dans Riders of the Purple Sage. La vendeuse derrière la caisse
enregistreuse s’abstint de lever les yeux lorsque Judd lui tendit un billet
d’un dollar et lui fit part de son sentiment. Elle répliqua qu’elle n’avait pas
vu ce film et lui rendit sa monnaie.
    Judd tourna dans une ruelle, finit sa flasque et se mit en
quête d’un estaminet où la remplir.
     
    Lorsque les trois femelles de la maisonnée Snyder sortirent
de concert, peu après onze heures, elles découvrirent dehors Albert en
cardigan, en train de ratisser vigoureusement la pelouse roussâtre aplatie par
l’hiver pour la ramener à la vie. À la vue de la jolie maman accompagnée de sa
fille, plusieurs gamins juifs en costume d’Halloween, qui hésitaient à déranger
ce père de famille rageusement affairé, se précipitèrent sur le trottoir et
récitèrent en chœur :
    « Aucun doute n’est permis, c’est Pourim
aujourd’hui ! Donnez-nous un sou et vous serez débarrassés de nous !
    — Si vous n’êtes pas à croquer », s’attendrit
Ruth, et elle dénicha dans son sac une pièce pour chacun.
    Albert observa la transaction avec un mélange de suspicion
et de dédain avare. À l’est, des nuages se coagulaient et la soirée s’annonçait
froide et humide,

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