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Une irrépressible et coupable passion

Une irrépressible et coupable passion

Titel: Une irrépressible et coupable passion Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Ron Hansen
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de
mercure. L’odeur chimique dégoûta Judd, mais il découvrit que Ruth, cette brave
âme, avait dissimulé par terre, près du fauteuil en velours rose, une pleine
bouteille d’un litre de whisky Tom Dawson, l’une des cinq qu’elle avait
achetées en vue de la fête du samedi suivant, veille de son trente-deuxième
anniversaire. Judd dévissa le bouchon et but quelques gorgées, savourant le
goût d’iode et d’algues du scotch, qui lui brûla la gorge juste comme il
fallait. Bien qu’il eût pour instruction d’utiliser la pince d’électricien pour
couper les fils du téléphone, lorsque Judd tenta de se lever du fauteuil, il
s’effondra contre le mur sous l’effet de l’alcool et glissa jusqu’au sol comme
une poupée de chiffon, égarant la pince sous le lit de Josephine.
    Il leva la bouteille et se noya un peu plus dans le whisky.
Sa chemise ne tarda pas à être trempée de transpiration. L’attente lui évoquait
la pêche en compagnie de son père et de sa sœur, le clapotis de l’eau sous la
barque, tandis que, bercé, il observait sa ligne qui se fondait dans le lac
Skaneateles. Une touche, une secousse, puis rien. Tout était flou, hormis le
fait qu’il était là pour occire un homme qu’il n’avait jamais rencontré, dont
il ne se rappelait même pas le prénom. « Son Excellence », c’était
tout. Sa disposition à tuer pour Ruth le confondait et l’effrayait, comme plus
tôt ce mois-là. L’horloge Ingersoll marquait deux heures. Sous peu, la famille
rentrerait et il lui faudrait passer à l’action ou Ruth renoncerait à lui et se
dégotterait un gars plus fort. Il fut alors pris d’une folle envie de fuir et
en fit la tentative, batailla pour se relever, oublia ses affaires et détala
jusqu’à l’escalier. Mais il était encore sur le palier quand il discerna le
bruit d’une des rares automobiles circulant dans la 222 e  Rue et
aperçut des phares qui projetaient leur faisceau jaunâtre par les fenêtres de
la salle à manger. À quatre pattes, flageolant, Judd rebroussa chemin, pris de
panique.
     
    Le coroner établirait que le taux d’alcool dans le sang
d’Albert Snyder était de trois grammes par litre, presque quatre fois le seuil
d’ébriété fixé par la police. Sans l’intervention de Ruth et Judd, il est
possible qu’Albert fût mort dans son sommeil. Mais il avait tout de même
insisté pour rentrer en voiture avec son épouse et sa fille, dans un silence
lugubre, enfilant les rues dans sa grosse Buick, manquant de peu les autres
véhicules et négociant les virages avec des à-coups, pendant que Ruth le
guidait à voix basse, telle la plus indulgente des épouses. Arrivé chez eux, il
donna un violent coup de volant à droite vers le garage et percuta le bord du
trottoir. Il décocha un regard vindicatif à Ruth, comme pour la défier de faire
une remarque.
    « On va sortir ici », se contenta-t-elle de
déclarer, et Albert souffrit sans un mot qu’elle récupérât Lorraine, endormie
sur la banquette arrière.
    À neuf ans, la fillette était trop lourde pour qu’elle pût
la porter, mais Ruth laissa Lorraine se blottir sous son bras, tandis qu’elle
se dirigeait vers la porte. Ruth déverrouilla et hésita dans l’entrée, à
l’affût de Judd, mais les seuls sons étaient le tic-tac de l’horloge de parquet
et les gazouillis de Pip qui la saluait.
    Ruth quitta son turban de satin noir et son manteau en poil
de chameau à bordure de lynx et les suspendit dans la penderie du hall.
    « Je vais te chercher de l’eau, Lora »,
annonça-t-elle, avant de s’aventurer seule dans la cuisine éclairée.
    Elle vit que le paquet de cigarettes n’était plus là et que
l’une des chaises avait été déplacée. Elle remplit un verre au robinet et regagna
l’entrée. Lorraine avait enlevé ses chaussures de ville et son manteau neuf en
lamé à revers de fourrure s’étalait à ses pieds. Elle oscillait sur place, les
paupières closes, prête à défaillir d’épuisement. Rien ne pourrait la
réveiller.
    « Tu veux bien grimper l’escalier pour moi, bébé ?
Je ne peux plus te soulever. »
    Lorraine se cramponna à la rampe d’une main, à la taille de
sa mère de l’autre, et gravit les marches d’un pas aussi pesant que celui de
Judd plus tôt.
    « Où elle est, bonne-maman ? s’enquit-elle.
    — Au travail, lui dit Ruth.
    — Ah, c’est vrai. »
    Lorraine obliqua directement vers sa chambre et ne prit pas
la peine d’allumer

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