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Une irrépressible et coupable passion

Une irrépressible et coupable passion

Titel: Une irrépressible et coupable passion Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Ron Hansen
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le plafonnier. Ruth posa le verre d’eau sur la coiffeuse.
    « Tu veux bien mettre ton pyjama, s’il te
plaît ? »
    Lorraine ne répondit pas, mais s’exécuta. Ruth s’en fut
jusqu’à la porte de la chambre de Josephine et chuchota :
    « Tu es là ?
    — Oui, va-t’en ! » la chassa Judd.
    Elle repéra sa masse sombre, pelotonnée dans un coin, les
bras autour des genoux, apparemment. Elle l’abandonna là.
    Le pyjama de Lorraine était un uniforme de matelote, mais
elle n’avait pas eu le temps de boutonner le haut en entier avant de
s’affaisser sur le flanc, terrassée par un sommeil qui n’avait que trop tardé.
Ruth dégagea les couvertures au-dessous de sa fille, la borda et l’embrassa sur
le front comme n’importe quel autre soir. Puis elle referma en douceur derrière
elle la porte de Lorraine, la verrouilla avec sa clé et retourna sur le seuil
de la chambre de Josephine.
    « Je reviens tout de suite », lâcha-t-elle.
    Même dans son état d’ivresse avancée, Albert fut assez
prudent pour rentrer son automobile bien-aimée dans le garage centimètre par
centimètre, jusqu’à ce que la balle de tennis suspendue à une solive, en guise
de repère, touchât le pare-brise. Albert coupa le contact et resta assis là un
moment, à réunir l’énergie nécessaire pour sortir. Enfin, il se força à tirer
la poignée et bascula hors de la voiture, avant de se redresser contre le mur
du garage et de tanguer jusqu’à la cuisine. Il ouvrit bruyamment les placards
en quête d’un dernier verre, mais ne trouva pas d’alcool et monta à l’étage en
se cognant.
    Dans leur chambre, Ruth, dévêtue, choisit, en prévision des
effusions de sang, une chemise de nuit rouge en nansouk, suspendue sur un
cintre rembourré en satin. Elle en apprécia la beauté dans la glace de la
penderie et se souvint que les passements brodés étaient d’inspiration
lorraine, ce qu’elle interpréta comme un heureux présage. Comme elle se coulait
dans la chemise de nuit, elle se sentit étrangement gênée par la proximité de
Judd, dans l’intimité de leur foyer. Elle perçut le pas d’une horripilante
lourdeur de son mari et elle brossait ses cheveux fraîchement décolorés quand
elle avisa, dans le miroir en pied, Albert qui la fixait, furieux et intoxiqué
par la boisson, privé d’intelligence et de parole, sans la moindre idée,
manifestement, que son espérance de vie ne se chiffrait plus qu’en minutes.
    « Ça va ? » hasarda-t-elle.
    Albert ne réagit pas et s’accota contre le mur pour se débarrasser
de ses chaussures et de ses vêtements, puis enfonça les bras dans sa chemise de
nuit bleu pâle en flanelle. Il releva une fenêtre en raison de la chaleur, le
châssis crissa contre les montants en bois, et Ruth observa avec intérêt son
mari qui escaladait son matelas, puis se traînait en avant sur les coudes et
les genoux, tel un vieillard ridicule, avant de se vautrer sur le ventre et de
sombrer dans le néant qu’il tenait pour du sommeil.
    Ruth se rendit dans la salle de bains, se lava les dents,
puis s’arrêta dans la chambre de Josephine. Judd y était toujours accroupi en
silence, dans une attitude qui avait quelque chose d’oriental. Ruth se baissa
pour l’embrasser.
    « Tu as tout ? s’informa-t-elle, en palpant
l’oreiller.
    — Oui.
    — Tu es ici depuis longtemps ? »
    Il haussa les épaules.
    « Une heure. Sais pas. »
    Il fleurait le whisky quand il parlait.
    « Tu as bu ?
    — Plein.
    — Mais tu ne vas pas te dégonfler, hein ?
    — Je crois que je ne suis pas en état.
    — Oh, que si, lui opposa-t-elle, en se penchant à nouveau
pour l’embrasser. Tu en es capable. »
    Et sitôt qu’elle le sentit poser une patte tâtonnante sur sa
cuisse, elle s’éclipsa.
    Judd se leva comme s’il avait reçu un ordre et sentit des
fourmis dans ses genoux et ses mollets ankylosés sous l’effet de l’afflux de
sang frais. Il ouvrit le fermoir de sa mallette, retira ses lunettes de hibou
et les rangea soigneusement dans leur étui. Il avala une ration supplémentaire
de whisky, puis enfila les gants de chimiste en caoutchouc vert et attendit
Ruth, tête basse, comme si lui aussi était sa victime.
    Elle avait laissé ouverts les rideaux et les stores
vénitiens quand elle s’était couchée, dans le lit le plus proche de la
penderie. Allongée sur le dos, elle scruta son mari qui ronflait. Le lampadaire
à arc dans la rue brillait par les fenêtres

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