Une tombe en Toscane
pendule Louis XV agitait au même rythme son balancier arthritique. La grisaille de novembre pénétrait jusque dans la pièce et y déversait cette pâleur fumeuse et mélancolique des dimanches d'automne. Pour se débarrasser des menaces de fantômes trop faciles à créer, Jean-Louis décida soudain de fouiller la chambre de son père.
Comme s'il craignait de détruire cette atmosphère reconstituée par son imagination et par la fidélité des objets, il gravit avec précaution l'escalier. C'est alors seulement qu'il s'aperçut qu'une chose manquait au décor du vivant de son père, quelque chose qui démontrait la réalité de la présence, le parfum de miel chaud du tabac blond que Louis Malterre fumait.
C'est en prenant soin de ne pas faire grincer la clé dans la serrure, avec les gestes lents et attentifs d'un voleur, qu'il ouvrit la porte, close sur son ordre, depuis plus de deux mois.
Les persiennes fermées, les rideaux de velours tirés maintenaient dans cette pièce une obscurité totale. Jean-Louis ne voulut pas allumer l'électricité qui eût répandu brutalement une clarté trop vive sur ce décor qu'il ne connaissait pas, vide de son personnage.
Avec assurance, il marcha vers la fenêtre. Le bruit des anneaux glissant sur les tringles lui donna un frisson tandis que, par les fentes des vantaux de bois, une vague lumière s'introduisait dans la pièce, diluant l'obscurité en une pénombre inquiétante. Il ne put s'empêcher de regarder du côté du lit, puis vers le bureau comme s'il allait découvrir soudain la présence de son père, vivant en reclus fantomatique. Une pointe de frayeur incontrôlable précéda la bouffée de chagrin qui lui vint du silence et du vide. Il ouvrit la fenêtre. Quelques gouttes de pluie glacée l'atteignirent au visage avant qu'il ne l'eût refermée.
Quand il fit face à l'intérieur de la chambre, il avait retrouvé tout son sang-froid. Le lit bien plat sous le châle-tapis qui le recouvrait avait l'aspect des choses désormais inutiles. Il se dirigea vers le bureau et s'assit dans le fauteuil de cuir. Dans le cendrier de cristal une cigarette à demi consumée avait été oubliée. Cette cigarette avait été celle du dernier matin de Louis Malterre, celle qu'il avait fumée après le petit déjeuner.
« La seule expérience que j'aie jamais eue de la volupté, disait-il, c'est la première cigarette quotidienne avant la toilette. » Ce mégot, oublié par Mathilde, qui venait, dès le départ du maître, faire le ménage, était donc le reste de cette ultime volupté.
L'odeur du tabac blond y restait confinée. Jean-Louis huma l'air. C'était une des composantes de l'odeur de son père. Mais l'odeur du vivant avait quelque chose de tiède. L'air qu'il respirait maintenant avait une fadeur glacée.
Jean-Louis se souvint d'un jour où, étant enfant, il avait fait une chute dans le parc. Ce jour-là, son père avait tiré son mouchoir de sa poche et le lui avait tendu. La toile légère était tiède pour avoir été longtemps au contact de l'homme. Une vague odeur de lavande y restait attachée, aussi le parfum du tabac ; mais le tout noyé et uni dans l'effluve particulier que le corps de son père lui avait conféré. C'est cette odeur de son père qui l'avait consolé ce jour-là, comme s'il lui communiquait à travers la batiste un peu de sa force et de sa vie. Il s'était essuyé les yeux longuement et avait rendu le mouchoir, avec regret. Depuis ce jour-là, toutes les fois où il avait embrassé son père, il avait retrouvé cette même odeur.
Maintenant, en fermant les yeux, appuyé au dossier du fauteuil, il tentait de faire appel à sa mémoire olfactive. Mais les odeurs avaient été celles de l'être vivant. Il n'en restait rien qu'un goût de fumée refroidie.
Le bureau rustique n'avait que deux tiroirs. Jean-Louis les ouvrit. Le premier contenait du papier à lettres chiffré, des cartes de visite, un coupe-cigares, deux vieux stylos et des papiers sans importance. Le second renfermait un dossier plein de factures acquittées. Machinalement, le jeune homme se mit à les feuilleter. Il reconnut au passage celles des voitures et des réparations de la villa, les accusés de réception des impôts, tout ce qui se rapportait aux dépenses domestiques.
C'est à la fin du dossier qu'une facture à en-tête fiorituré retint son attention : « Benedetti, scultore -per la costruzione e la messa in
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