Une tombe en Toscane
opera di monumento funebre sulla tomba della signorina Batesti, nel cimitero di Siena 1 », lut-il avec étonnement. La date, octobre 1926, l'étonna encore davantage. Comment son père, ennemi de toute paperasse inutile, pouvait-il garder une facture acquittée, vieille de trente ans ?
Jean-Louis ferma le dossier, le mit dans le tiroir et se dirigea vers l'armoire ancienne qui servait à son père de garde-robe.
Celle-ci aussitôt ouverte libéra l'odeur familière des costumes et la vue des vestons sur leur cintre le troubla à l'extrême. Le dos de son père multiplié lui apparut, facilement imaginable sous les tissus qu'il connaissait bien. Il y en avait une douzaine et un smoking, qui n'avait servi qu'une ou deux fois. Tous ces vêtements avaient encore la forme de la vie.
Il les sortit un à un de l'armoire et les examina. Maintenant, il pouvait donner la lumière, car la crainte des fantômes paraissait conjurée et l'orage qui redoublait obscurcissait davantage la pièce. Le costume préféré de son père était un croisé gris, assez sombre, qu'il possédait en deux exemplaires, tant il l'aimait. Il n'en restait qu'un ici, car il avait été enseveli avec l'autre.
Jean-Louis palpa le tissu – un lainage léger – puis, quittant son veston, enfila celui qui avait appartenu à son père. En accomplissant ce geste, qui venait soudainement de lui être suggéré par le balancement des manches vides quand il avait décroché le vêtement de l'armoire, il eut le sentiment indéfinissable de commettre un vol. C'était un peu comme s'il s'était travesti pour se donner l'air d'être son père, il jouait une sorte de jeu de carnaval indécent, mais quand la glace qui se trouvait au-dessus de la vieille commode où le linge était rangé lui renvoya son image, tout se trouva dissipé. Le veston lui allait assez mal et il ne ressemblait pas au mort.
En enfilant ce veston, il avait espéré inconsciemment s'emparer du même coup de la personnalité de celui pour lequel il avait été coupé. Au lieu de cela, il découvrit soudain son vide, son manque d'existence propre ; il imagina quel aurait été le sourire ironique de son père s'il avait pu l'apercevoir ainsi, se cherchant désespérément dans une indigne mascarade. Mais tout cela était encore trop flou dans l'esprit du jeune homme qui se sentit plus à l'aise quand il eut remis les costumes dans l'armoire. « Je ne pourrai pas les utiliser », se dit-il, justifiant ainsi son geste, le tailleur aurait trop de travail et les costumes ne sont plus neufs. Il referma l'armoire dont le grincement familier lui rappela les matins, quand son père s'habillait. Ce grincement signifiait alors que le maître était prêt à descendre.
Sur l'angle du bureau, se trouvait un paquet de Players, les cigarettes de son père. Il en alluma une, s'assit dans le fauteuil et pressa la poire qui fit jaillir la lumière de l'abat-jour. Ici, soir après soir, son père avait lu avant de s'endormir.
Un livre restait sur la tablette du lampadaire. Il le prit et l'ouvrit au signet. C'était la vie de Samuel Johnson par Boswell. Il lut machinalement en haut de la page : « Je lui mentionnai notre ami commun Foote, en lui disant qu'il n'était pas un bon mime à notre avis. » « Non, dit Johnson. Ses imitations ne sont pas bonnes. Lorsqu'il mime il n'est plus lui-même, mais il n'est pas non plus celui qu'il veut imiter. Il "sort" de lui-même, sans "entrer" dans l'autre. »
Jean-Louis referma le livre et se prit à penser que lui aussi n'était qu'un mauvais mime, comme ce Foote, qui avait dû vivre en Angleterre en 1770.
Pour la première fois, dans cette chambre où son père avait laissé tous les objets qui le servirent pendant sa vie, Jean-Louis se mit à s'interroger sur lui-même. Qui était-il réellement, lui, Jean-Louis Malterre, le fils du mort ?
Il n'était rien d'autre que le fils d'un mort. Aussi loin que ses souvenirs pouvaient le porter, il n'avait voulu être qu'un reflet de son père. Gamin, devant la glace de sa chambre, il s'était appliqué à sourire du coin des lèvres, comme son père. Il se coiffait comme lui, pliait sa pochette au carré, comme il le lui avait vu faire et s'efforçait au silence grave. Plus âgé, il avait poussé plus loin le mimétisme. Il choisissait la même coupe pour ses costumes, voulait lire les mêmes livres, tenait son stylo de la même façon et, si une vague pudeur en lui ne
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