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Une tombe en Toscane

Une tombe en Toscane

Titel: Une tombe en Toscane Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Denuzière
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qui aurait la puissance de maintenir encore un moment en échec l'inquiétude du néant intérieur. Comme il rangeait son propre stylo au fond du tiroir, il vit sous le dossier aux factures une feuille quadrillée pliée en deux. Il l'ouvrit machinalement, reconnut l'écriture du disparu.
     
    C'était un poème. Affolé, comme un amant qui vient de découvrir la lettre d'un rival dans le sous-main de sa maîtresse, il lut :
     
    Inés d'éternité docilement gisante
     
    Attentive espérance du suprême réveil
     
    Au sang du seul diadème
     
    Pour le royal amour
     
    S'est fondue la ferveur de l'étreinte
     
    Accablante
     
    La raison des poignards
     
    Et ta mortelle cour
     
    Et le sceptre
     
    Soudé à ta main de sommeil.
     
    Majesté enfouie au creux des pierres douces
     
    Les anges serviteurs
     
    Patients thuriféraires
     
    Que le silence émousse
     
    Guettent en Alcobaça ton regard vertical
     
    Et l'instant triomphant et brutal
     
    Où viendra ton royaume
     
    Sur des mondes noyés.
     
    Et Lui,
     
    Te faisant face
     
    En sa chair fidèle
     
    Scrutateur impatient du signe absolutoire
     
    Prouvera
     
    La foi du regard échangé
     
    Mêlera
     
    Le destin cruel des parallèles
     
    Et vous serez rendus à l'axe péremptoire
     
    L'un par l'autre reflet d'amour inébranlé.
     
     
    1 « Benedetti, sculpteur - pour la construction et la mise en place d'un monument funéraire sur la tombe de Mlle Batesti, dans le cimetière de Sienne. »
     

5.
     
    Depuis Caldas da Rainha, la route suivait les ondulations des collines. Le vent tiède de l'intérieur flétrissait les mimosas et provoquait des pluies intermittentes et jaunes. L'odeur des fleurs arrachées pénétrait dans la voiture sur une poussière de pollen. Jean-Louis se souvenait que son père détestait la corbeille pleine de branches surchargées de boules cotonneuses et entêtantes, qu'un ancien directeur de l'usine, installé à Nice, ne manquait jamais d'envoyer au milieu de février. « La nature joue quelquefois à l'artisan de mauvais goût, disait Louis Malterre. Portez ces fleurs au concierge. »
     
    Agnès, qui aimait toutes les fleurs, n'osait rien dire ; elle prélevait deux branches pour sa chambre et envoyait le reste à la femme d'Emile. Celle-ci ne manquait pas de remercier. Pour elle, le mimosa était comme le caviar, une de ces inaccessibles splendeurs réservées aux milliardaires de la Côte d'Azur.
     
    Laissant à gauche la route qui conduisait à la mer et au port de Nazaré, la voiture attaqua le plateau qu'il fallait traverser avant de descendre sur Alcobaça.
     
    Le chauffeur arrêta la voiture devant un restaurant.
     
    - C'est le meilleur, dit-il.
     
    - Allez déjeuner, dit Jean-Louis, je n'ai pas faim, je viendrai plus tard.
     
    Jean-Louis traversa la place et se dirigea vers l'église. Santa Maria offrait dans le soleil une façade, plantée comme un fronton de pierre qui aurait pris, sous la caresse de flammes bienveillantes, les reflets du corail jauni, de la meulière saumonée, du granit moussu de mauve.
     
    Il était une heure de l'après-midi. Le parfum lourd des mimosas fanés avait donné à Jean-Louis un mal de tête naissant. La pénombre fraîche de l'église lui apporta un brusque soulagement. Touchant au but inavoué de ce voyage au Portugal, il s'arrêta dès les premiers pas, heureux de constater que l'immense nef paraissait déserte et silencieuse.
     
    Obscurément, il attendait de cette visite une révélation. Son père était venu là. Une mystérieuse poésie l'avait séduit sous ces voûtes. Le sortilège lui serait-il donné à son tour, de la connaître ?
     
    Jean-Louis ne voulait pas aller au-devant. Depuis la découverte du poème, il s'était posé sans cesse des questions, grisé de romans imaginaires, mais il sentait bien que tout ce qu'il pouvait concevoir ne devait être que vulgaire et banal, comparé à la vérité.
     
    Il avançait dans l'église en visiteur indifférent, mais scrutait comme un enquêteur, attendant que le signe auquel son père avait été sensible lui apparaisse. Il savait que les tombeaux d'Inés de Castro et de Dom Pedro se faisaient face dans les croisillons du transept, dans les chapelles les plus légères et les plus riches, mais il s'efforçait de maîtriser sa hâte de les voir. Il frissonnait, envahi d'une sorte d'inquiétude, un tiraillement agitait sa nuque. Il aurait été incapable de prononcer une parole, tant il était soumis à une

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