Une tombe en Toscane
Avant-propos
Voir reparaître un roman de jeunesse est toujours pour l'écrivain un bonheur teinté de nostalgie. Lorsque l'événement survient, le texte ancien exhale, sous couverture neuve – du seul fait de son âge, de l'époque et de la société qui lui servirent de cadre, de l'immaturité de l'auteur aussi -, le parfum d'un monde révolu.
La publication nouvelle, quarante années après l'édition originale, prend valeur de prototype désuet, d'exhibition involontaire, presque de confession, même si l'ouvrage – et c'est le cas pour Une tombe en Toscane – n'a rien d'autobiographique. Le lecteur qui s'est intéressé, au fil des décennies, aux travaux de l'auteur, va ouvrir avec curiosité l'ouvrage ignoré. Il y recherchera des indices permettant de suivre à rebours l'évolution intellectuelle de l'écrivain, celle de sa langue, de son style, de ses goûts, de ses tics.
Nul auteur, si fameux qu'il soit, n'est assuré de sortir indemne de ce genre d'investigations, même bienveillantes !
C'est peut-être pourquoi certains écrivains retouchent, corrigent, révisent, tronquent l'ancien livre destiné à réédition. D'autres le nourrissent, l'engraissent, croient le bonifier par des ajouts, fruits d'expériences vécues, de connaissances acquises, d'opinions nouvelles, de déceptions éprouvées. Les plus soucieux de leur image s'appliquent à gommer tout ce qui peut rappeler des influences littéraires ou philosophiques depuis longtemps tues ou répudiées. Les plus grands ont sacrifié à ce ravalement que dénonce le « revu et corrigé » loyalement imprimé par l'éditeur.
De telles interventions sont nécessaires quand il s'agit d'ouvrages scientifiques ou techniques que l'auteur se doit d'actualiser en fonction des dernières découvertes. Elles restent louables pour les livres d'histoire, comme elles sont acceptables pour les biographies, quand archives et correspondance ont livré des informations nouvelles sur le portraituré et son temps. En revanche, le fait de plus ou moins réécrire une fiction équivaut à proposer au lecteur un nouveau livre qui n'ose pas dire son nom. L'écrivain qui graticule – selon l'expression chère à de Gaulle – pour mettre un vieux texte à la mode du jour, ou simplement lui donner la tonalité des œuvres postérieures qui obtinrent le succès refusé au livre d'autrefois, égare son lecteur et se trahit lui-même. En conservant thème, personnages et intrigue, mais en les accommodant à sa manière d'écrivain mûr, il ne fait que se plagier, ce qui est son droit. Cependant, ces révisions tardives peuvent enlever au texte la spontanéité souvent maladroite, parfois naïve, mais en général sincère de l'auteur débutant. Souvent, en effaçant, par une sorte de respect humain, les empreintes d'une éducation ou d'un engagement, l'auteur qui révise fait à dessein, ou accidentellement, disparaître les signes, peut-être déjà perceptibles, de ce que sera son œuvre alors à venir et maintenant publiée.
La pratique n'a rien de condamnable, l'écrivain, comme le capitaine, étant seul maître à bord de son livre. Au moment d'une réédition, il ne s'agit que d'un choix.
J'ai choisi la fidélité au livre premier. C'est tel quel, « dans son jus », comme disent les antiquaires en parlant d'un meuble ancien qui n'a pas été restauré, qu' Une tombe en Toscane, écrite en 1959, est livrée aux lecteurs de 1999. Seules ont été admises des corrections typographiques et supprimées quelques fautes ou répétitions agaçantes dues à l'inattention.
En parcourant ces pages, dont il se rappelle avoir relu les épreuves au cours d'un hiver andalou, dans l'ambiance monacale de l'Alhambra de Grenade, l'auteur est bien forcé de reconnaître que la bourgeoisie provinciale et industrielle qu'il mettait en scène a disparu.
En 1959, le patron d'une usine de province tenait encore un peu du maître de forges. Il pouvait être critiqué mais non contesté. Il était craint et respecté, son autorité étant celle du responsable. On attendait de lui qu'il maintînt la prospérité de son entreprise et assurât du travail aux ouvriers. Ces derniers revendiquaient, certes, des améliorations de leur sort, mais ne recouraient à la grève que contraints et forcés, et très rarement à la violence.
Au sein des familles bourgeoises régnait en général le même respect du père. L'autorité parentale n'était pas
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