Une veuve romaine
fiancée ?
— Nous pensons qu’elle a l’intention de le tuer, répondit Sabina Pollia.
6
Les détectives sont des gens simples. Donnez-nous un cadavre et nous rechercherons le tueur. Mais nous voulons le cadavre d’abord. Question de logique.
— Gente dame, dans la bonne société romaine, mentionner un meurtre avant qu’il ne se soit produit est impoli.
— Tu penses que je viens d’inventer ça ? demanda Pollia en levant au ciel ses yeux magnifiques.
— Non, je te crois. C’est trop ridicule pour que tu l’aies imaginé. Quand les gens inventent quelque chose, ils choisissent en général une histoire plausible.
— C’est la vérité, Falco.
— Essaye de me convaincre.
— Cette femme a déjà été mariée – trois fois !
— Oh ! nous vivons une drôle d’époque. De nos jours, il faut en être au minimum à son cinquième mariage pour que les gens y trouvent quelque chose à redire.
— Aucun de ses précédents maris n’a survécu longtemps, insista Pollia. (J’arborai toujours un sourire dubitatif.) Et après chaque enterrement, elle est devenue plus riche.
Cette dernière phrase effaça mon sourire.
— Ah ! L’argent donne à cette histoire une patine plus authentique… À propos, quel est son nom ?
Pollia haussa ses belles épaules blanches qui apparaissaient entre les épingles brillantes agrafant son péplum.
— Elle dit s’appeler Severina. J’ai oublié son autre titre.
J’inscrivis sur une tablette, grâce au stylet que je garde toujours sous la main : prénom : Severina – nom de famille : inconnu…
— Est-ce qu’elle est jolie ?
— Par Junon, je ne saurais le dire. Il faut bien qu’elle ait quelque chose, pour avoir persuadé quatre hommes importants de l’épouser.
Je pris d’autres notes, mais mentalement cette fois : personnalité brillante (source possible de difficultés), et peut-être intelligente (ce qui était pire).
— Est-ce qu’elle essaye de cacher son passé ?
— Non.
— Elle s’en vante ?
— Non plus. Elle le mentionne sans avoir l’air d’y attacher d’importance. Comme si c’était chose banale que d’avoir eu trois maris qui sont morts rapidement en lui laissant tout.
— C’est habile.
— Falco, je t’ai dit qu’elle était dangereuse !
Je commençais à me sentir intrigué. Les femmes dangereuses m’ont toujours fasciné.
— Pollia, je voudrais comprendre clairement ce que tu attends de moi : que je mène une enquête sur Severina pour que son passé la rattrape ?
— Tu ne trouveras aucune preuve, gémit-elle. Un préteur l’a fait après la mort de son troisième mari, et ça n’a rien donné.
— Il y a souvent des détails qui échappent aux préteurs. Et nous en tirerons peut-être un certain avantage. Dis-toi que même les chercheuses d’or ne sont que des êtres humains. Après trois succès, les gens de son espèce ont tendance à se prendre pour des demi-dieux. C’est le moment où les gens comme moi parviennent à les coincer. Dis-moi, Hortensius Novus est au courant de son passé ?
— On l’a obligée à lui en parler. Mais elle a réponse à tout.
— Il est normal qu’une veuve professionnelle tienne ses réponses prêtes. Quoi qu’il en soit, je vais tenter de l’effrayer. Il suffit parfois qu’elles se sentent surveillées pour disparaître, en allant chercher un gibier plus facile ailleurs. As-tu envisagé de lui offrir de l’argent ?
— Je le ferai, si tu crois que ça peut aider. Nous en avons beaucoup.
Je songeai tout de suite à mes honoraires, et cette déclaration m’arracha un sourire. Je connaissais des gens riches qui dissimulaient leur fortune avec la discrétion qui convient. J’en avais rencontré d’autres qui possédaient d’immenses propriétés sans éprouver le besoin de s’en vanter. La vulgarité de Sabina Pollia à cet égard me rappela que je venais de pénétrer dans un monde tout à fait nouveau pour moi.
— Je vais donc essayer de savoir quel est son prix.
— Si elle en a un.
— Elle en aura un ! Et, à coup sûr, moins élevé qu’Hortensius Novus ne se l’imagine. Crois-moi ! Les yeux de plus d’un amant se sont dessillés en découvrant le peu de valeur que sa bien-aimée lui accordait, et il l’a vue sous un nouveau jour.
— Tu es cynique, Falco.
— J’ai travaillé pour pas mal d’hommes qui se croyaient amoureux.
Elle me regardait sous ses paupières à demi baissées.
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