Une veuve romaine

maintiennes le problème hors de la famille !
    — Alors commençons par parler de la « famille ». Je sais déjà qu’Hortensius Novus vit ici. Qui d’autre ?
    — Nous habitons tous ici. Je suis mariée à Hortensius Felix. Hortensia Atilia est la femme d’Hortensius Crepito.
    Mariages interfamiliaux entre esclaves – le fait n’était pas rare.
    — Et au centre de ce triumvirat de frères, Novus est toujours un heureux célibataire ?
    — Jusqu’à présent, répliqua-t-elle, avec beaucoup de tension dans la voix. Mais ils ne sont pas frères, Falco ! Qu’est-ce qui a bien pu te faire croire ça ?
    J’avoue que j’étais pris au dépourvu.
    — Ils portent le même nom et tu as fait référence à la famille.
    — Nous ne sommes pas du tout parents, même si nous formons une famille. Le nom de notre maître était Hortensius Paulus.
    Pour ajouter à la difficulté d’avoir chaque Romain respectueusement nommé d’après son père, tout comme ses frères et ses fils, voilà que je me trouvais confronté à toute une bande d’anciens esclaves qui continuaient de porter le patronyme de leur ancien maître après avoir été affranchis. Y compris les femmes.
    — Et Hortensia Atilia est aussi une affranchie issue de la maisonnée ?
    — Oui.
    — Mais pas toi ?
    — Oh ! si.
    — Tu ne portes pas le même nom.
    Sabina Pollia se contenta de hausser ses sourcils élégamment dessinés, en ayant l’air de se moquer de moi.
    — Je m’y perds, admis-je.
    — Je travaillais pour la femme de la maison, déclara-t-elle. (Elle avait évité de dire : « j’appartenais à » et : « j’ai été libérée par », mais cela coulait de source.) J’ai pris son titre… Falco, en quoi est-ce important ?
    — Ça m’aide à comprendre.
    Cela me permettait surtout d’éviter d’éventuels faux pas. Je cherche à ne pas offenser par mégarde mes futurs clients, au cas où ils se montreraient moins généreux.
    — Pour résumer, on a accordé leur liberté à cinq d’entre vous pour bons services. (Affranchis par le testament de Paulus, à coup sûr.) Vous avez continué de vivre et de travailler ensemble, et vous vous êtes mariés entre vous. (Comme l’âge minimum pour l’affranchissement d’un esclave était fixé à 30 ans, j’en conclus que Pollia naviguait dans la société romaine depuis plus de dix ans.) Vous disposez d’une maison bien agencée et visiblement prospère. Laisse-moi deviner le reste. Une intruse a fait son apparition – sans doute une traînée, mais nous y reviendrons –, qui veut attirer dans ses filets le célibataire du groupe. Et tu veux que je t’en débarrasse.
    — Tu es très malin, Falco.
    — C’est mon gagne-pain… Jusqu’où les choses sont-elles allées ?
    — Hortensius Novus s’est fiancé officiellement.
    — Un impulsif ! Avant que j’accepte de me charger de cette affaire (je fis mine de méditer), dis-moi pourquoi je devrais croire qu’Atilia et toi ne détestez pas cette fille uniquement parce que vous allez devoir modifier votre petite routine.
    Pollia eut l’air de penser qu’il s’agissait d’une question pertinente.
    — Nous nous inquiétons pour le bonheur de notre vieil ami. C’est bien naturel.
    — On ne peut plus naturel ! m’exclamai-je. Mais je parierais qu’il y a aussi beaucoup d’argent enjeu.
    — Si Hortensius Novus nous amenait une fiancée s’intéressant à lui pour de bons motifs, nous serions ravies de l’accueillir.
    Je trouvais déjà extraordinaire que deux femmes puissent gérer toute cette maisonnée de concert, alors trois… Je m’en ouvris franchement à elle. Elle me mit alors au courant de l’harmonieux arrangement qui était le leur.
    — Felix et moi habitons dans cette aile. Crepito et Atilia dans l’autre. Pour le travail et les distractions, nous partageons les pièces d’apparat au centre de la maison.
    — Et où avez-vous relégué Novus ?
    — Il possède une suite à l’étage supérieur. Il ne manque pas d’espace, Falco.
    — De toute façon, nous, les célibataires, savons nous restreindre. Mais si Novus en vient à se marier, aurez-vous suffisamment de place pour un nouveau couple ? insistai-je.
    — Il suffirait à notre architecte de construire une aile supplémentaire.
    — Alors, on en arrive à la question cruciale : si le mariage de Novus ne vous cause aucun problème domestique, qu’est-ce que Atilia et toi reprochez à sa