Une veuve romaine
Atilia se montreraient bien trop pointilleuses pour s’impliquer dans une relation avec moi. Sous mes paupières à demi baissées, je lui décochai un regard destiné à l’inquiéter quelque peu. Sans aucun résultat, comme d’habitude.
— Une chose que je trouve intéressante, indiquai-je au sénateur, c’est que ces gens seraient probablement prêts à admettre qu’ils sont partis de rien. Leur maître polissait le marbre. C’est un travail de spécialiste, mais qui ne rapporte même pas de quoi nourrir un escargot. Et pourtant, leur villa ostentatoire suggère que leur fortune dépasse celle d’un sénateur. Je suppose que ça aussi, c’est Rome !
— De quelle façon sont-ils parvenus à pallier leurs débuts peu prometteurs ?
— C’est encore un mystère pour moi…
Tout en parlant, je léchais le miel qui avait coulé sur les feuilles de vigne tapissant le panier. Il me vint soudain à l’esprit qu’une fille de sénateur ne souhaitait peut-être pas s’afficher avec un paumé du mont Aventin qui nettoyait les emballages en public à coups de langue. Ou, du moins, pas dans le jardin de la maison de son père (surtout quand il était présent), au milieu de dispendieuses nymphes en bronze et de rarissimes bulbes du Caucase…
J’avais tort de me faire du souci : Helena était en train de s’assurer qu’il ne resterait pas une seule miette de gâteau dans le panier. Elle avait même réussi à en écarter les angles pour récupérer celles qui s’y étaient glissées.
Le regard du sénateur rencontra le mien. Nous savions qu’Helena ne s’était pas encore remise de la perte de son bébé, mais nous pensions tous les deux qu’elle allait beaucoup mieux.
Elle releva brusquement les yeux. Le sénateur regarda ailleurs. Je refusai de laisser percer mon embarras, et je continuai de la fixer pensivement. Elle soutint mon regard et il s’ensuivit une espèce de communion paisible. Une histoire sans paroles.
C’est alors que Camillus Verus fronça bizarrement les sourcils dans ma direction.
10
Si j’avais décidé d’en rester là pour aujourd’hui avec mon enquête, d’autres étaient forcés de travailler. Je remontai donc le vicus Longus pour voir si l’agence immobilière dont m’avait parlé Hyacinthus était encore ouverte. Elle l’était.
J’y trouvai Cossus à son poste : un individu pâle au long nez, qui prenait plaisir à se tenir penché en arrière sur son tabouret, les genoux écartés. Heureusement, sa tunique marron et vert était assez large pour qu’il puisse le faire sans être indécent. Il passait probablement une grande partie de ses journées à rire avec ses amis, dont deux se trouvaient avec lui quand je me présentai à sa porte. Comme j’étais venu demander une faveur, j’attendis patiemment en adoptant un air modeste. J’entendis ces orateurs amateurs disserter des pervers qui allaient se présenter aux prochaines élections, parler des mérites d’un cheval, puis se lancer dans une discussion animée pour essayer de savoir si une fille qu’ils connaissaient était vraiment enceinte comme elle le disait. Quand mes cheveux eurent poussé d’au moins un doigt, je me permis de toussoter. Sans faire mine de s’excuser, la petite bande se dispersa.
Seul avec l’agent, je trouvai un prétexte pour glisser le nom de Hyacinthus comme si je le connaissais depuis le berceau, avant d’expliquer le motif de ma visite.
Cossus parut retenir sa respiration.
— C’est le mois d’août, Falco. Rien ne bouge. Tout le monde est parti…
— Même en août, il y a des tas de morts, de divorces, d’expulsions !
Mon père étant commissaire-priseur, je savais que le marché de l’immobilier restait actif en toutes saisons. Si j’avais voulu acheter quelque chose, il m’aurait aidé, mais même lui ne voulait pas se mêler de locations.
— Eh bien alors, si tu ne peux rien pour moi, Cossus…
Le meilleur moyen de faire bouger ce genre de personnage, c’est de suggérer qu’on va aller voir quelqu’un d’autre.
— Tu cherches quoi, exactement ? voulut-il savoir.
Tout ce qu’il me fallait, c’était beaucoup d’espace et un petit loyer, dans le centre. Cossus commença par m’offrir un placard hors des murs de la ville, près de la via Flaminia, à une bonne heure de marche.
— Pas question ! J’ai besoin d’être près du Forum.
— Que dirais-tu d’un joli petit immeuble avec de faibles charges, sur le
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