Vengeance pour un mort
trop après le souper. Les bavardages déforment beaucoup les faits, hélas.
— C’est ce que j’espère, dit l’évêque. Mais je destine des lettres à deux ou trois hommes de Perpignan, Isaac, des lettres que je préférerais ne pas donner aux courriers habituels. Si je vous les confie, peut-être pourrez-vous les faire porter, promptement et discrètement, sans susciter le moindre commentaire.
— Où doivent-elles aller ?
— Au palais royal et à la cathédrale.
— Je ferai tout mon possible pour les remettre discrètement.
— Soyez prudent, mon ami. Si ces rumeurs sont fondées, certains trouveront votre existence peu importante à côté de leurs desseins. Ne laissez pas non plus le jeune Yusuf courir la ville. Sa Majesté y a toujours des ennemis.
— Actifs après tout ce temps, en dépit des efforts de Sa Majesté ? N’avez-vous pas dit il y a un instant que la population avait oublié les vieux griefs ?
— Et qu’elle n’avait que des chefs loyaux et heureux ? Voilà un rêve nostalgique, mon ami, dit Berenguer. Ceux qui détenaient un grand pouvoir sous les rois de Majorque et l’ont perdu ont certainement une mémoire très vive et un grand nombre d’alliés.
CHAPITRE PREMIER
Environs de Perpignan, mercredi 17 septembre 1354
Au soir du même jour, deux hommes flânaient dans le jardin d’un vaste manoir. L’approche du crépuscule modérait doucement les ardeurs du soleil. Une brise faisait frémir l’air immobile et, au-dessus de l’horizon, un globe en fusion changeait en or les pierres des maisons, les herbes séchées des champs et les fruits des arbres.
— Je crains de devoir m’en aller à présent, dit le plus jeune des deux personnages.
Son regard se perdait dans le lointain. Sur un chemin trottait un âne lourdement chargé que menait un jeune garçon.
— Mon cher Don Ramon, comment pouvez-vous ? Un magnifique souper se prépare et de charmants compagnons viennent d’arriver. Je suis persuadé qu’ils apaiseront vos souffrances et qu’ils vous entraîneront même aux cartes et aux dés.
— Pourquoi ? dit Ramon dont le regard se porta sur la terre qu’il foulait. Je ne pourrais miser plus d’une fois. Je ne puis même pas m’asseoir à une table de jeu tant que je n’ai pas le droit de vendre ce qui m’appartient. Et malheureusement, mon père semble bien décidé à vivre à tout jamais, ajouta-t-il d’un ton sec.
— Il faut donc que vous trouviez de l’argent, dit l’autre en haussant un sourcil d’un air étonné.
— Comment ? demanda Don Ramon en se tournant vers son hôte.
— Votre situation n’est certainement pas aussi désespérée.
— Pis encore !
— Pouvez-vous réunir quatre mille sous, mon jeune ami ?
— Quatre mille ? Impossible. Je n’arriverais même pas à la moitié.
— Dans ce cas, allez voir les juifs. Empruntez.
— Vous croyez que je n’y ai pas encore pensé ? Je vous assure qu’eux aussi veulent savoir comment je les rembourserai.
— Rembourser, ce sera le moindre de vos problèmes. Don Ramon, écoutez-moi. Je connais quelqu’un qui désire à tout prix vendre ses parts dans une entreprise d’affrètement de navire. Cela vaut plus de cinq mille sous, beaucoup plus. Il sera heureux de s’en débarrasser pour quatre mille.
— Comment trouver quatre mille sous ? J’ai déjà du mal à en réunir quatre, dit Don Ramon.
— Le château vaut bien plus que ça.
— Mon bon seigneur, vous oubliez que je n’en suis pas propriétaire.
— Je vous le dis donc une fois encore : allez voir les juifs. Empruntez cette somme.
— Sans garanties ?
— Don Ramon, je vous emmènerai chez un ami que j’ai dans le Call. Ce soir, si vous le voulez. Je me porterai garant. Et vous lui offrirez comme garanties vos parts dans l’entreprise dont je vous parle. Ajoutez-y ce que chacun connaît, à savoir que vous êtes héritier de terres et de biens dont la valeur est au moins dix fois supérieure à la somme que vous désirez emprunter, et vous n’aurez aucun souci à vous faire. Il vous prêtera quatre mille sous.
— À quel intérêt ?
— Ce qui est légal, et pas un sou de plus. Vingt pour cent. Et je garantis que cette affaire vous rapportera au moins quatre fois ce que vous y aurez investi. Ou, pour être plus exact, ce que mon ami le prêteur y aura investi, car vous n’aurez pas à sortir un seul sou de votre bourse. En fait, il pourrait même vous avancer
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