Vers l'orient
sur le tissu ininflammable fabriqué par les gebr adorateurs
du feu, et l’on m’a fait voir comment il est confectionné et à partir de quelle
substance. Parmi les montagnes qui entourent Balkh, on trouve une certaine
roche particulièrement douce au toucher. Quand on la concasse, elle ne se
réduit pas en fines particules comme des grains de sable, mais en fibres un peu
semblables à celles du lin brut. Celles-ci, après avoir été longuement
écrasées, séchées, puis lavées avant d’être à nouveau séchées puis cardées et
filées au fuseau, forment un fil qui peut parfaitement être tissé en un
vêtement, lequel dans ce cas ne brûlera pas. Cette roche étrange, la rude fibre
qu’on en extrait et la matière magique que l’on fabrique avec sont considérées
par les gebr comme sacrées aux yeux de leur dieu du feu Ahura Mazda. Ils
ont baptisé cette substance « pierre qu’on ne peut souiller », que je
traduirai dans notre langue plus civilisée par le terme d’amiante.
35
Mon père et Narine étaient partis depuis cinq ou six
semaines, et comme oncle Matteo n’avait besoin de mon aide que par
intermittence, j’avais du temps pour moi. Je rendis donc un certain nombre de
visites supplémentaires à la boutique du gebr persan, toujours habillé
avec suffisamment de propreté pour éviter à mes vêtements un éventuel nouveau
nettoyage intempestif. Chaque fois que je répétais le mot de passe :
« J’aimerais voir vos articles les plus doux », le vieil homme était
pris de convulsions de rire et rugissait :
— Mais enfin, c’est vous, sans conteste,
l’article le plus doux et le plus tentant que j’aie jamais eu en magasin !
Je n’avais plus alors qu’à encaisser stoïquement ses
galéjades et sa grosse hilarité jusqu’à ce qu’il consentît à se saisir de mon
dirham et m’indiquât quelle était alors la chambre disponible.
Au fil du temps, j’eus bientôt expérimenté ses trois
chambres de derrière et leurs marchandises. Mais toutes étaient des Pashtounes
excisées, et je ne pus donc que me soulager avec elles sans qu’il en résultât
de satisfaction au plein sens du terme. J’aurais finalement pu en faire autant
avec les kuch-i-safari, et pour moins cher encore. De même, je n’acquis
d’elles que quelques maigres mots du vocabulaire pashtoun, jugeant cette langue
trop négligée et trop brouillonne pour être sérieusement apprise. À titre
d’exemple, le son gau, prononcé normalement en exhalant, veut dire
« vache », mais le même gau, prononcé cette fois en inspirant,
signifie « veau ». Imaginez-vous donc comment peut sonner une phrase
aussi simple que : « la vache a eu un veau », et vous aurez une
idée de ce que peut donner, en pashtoun, une conversation un tant soit peu plus
complexe.
En sortant de l’échoppe d’amiante, j’en profitais pour
échanger quelques mots en farsi avec le gebr propriétaire. Il ne
manquait jamais de se fendre au préalable d’une plaisanterie bien grasse sur le
jour où j’avais été contraint de me déguiser en femme, mais ceci fait, il
condescendait généralement à répondre à mes questions sur ses étranges
croyances. C’est que je tenais là l’unique sectateur de cette vieille religion
persane que j’eusse jamais rencontré. Il voulut bien admettre que les croyants
de cette foi n’étaient plus légion de nos jours, mais il maintint que ladite
religion avait jadis régné en maître, non seulement en Perse, mais aussi dans
toutes les régions environnantes, de l’Arménie jusqu’en Bactriane. Et la
première chose qu’il prit soin de me préciser, c’était qu’il ne fallait pas
appeler un gebr un gebr.
— Le mot signifie simplement « non
musulman », et les musulmans l’utilisent avec une nuance péjorative et
méprisante. Nous préférons être qualifiés de zardushi, car nous suivions
les préceptes du prophète Zarathoustra, le Chameau doré. C’est lui qui nous a
enseigné le culte du dieu Ahura Mazda, dont le nom s’est aujourd’hui altéré en
Ormuzd.
— Et ce dernier mot signifie « feu »,
complétai-je d’un air savant, car Narine me l’avait expliqué.
Je fis un geste du menton vers la lampe qui brillait
toujours dans l’échoppe.
— Non, pas le feu, répliqua-t-il d’un ton las. Ce
n’est qu’une fausse croyance stupide que l’on propage. Nous ne sommes pas des
adorateurs du feu. Ahura Mazda est le dieu de la Lumière, nous
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