Victoria
Osborne, a toute l’antipathie de la reine. Rien, dans son attitude envers elle, ne vient adoucir cet a priori. Gladstone, homme entier à qui toute hypocrite apparence fait horreur, s’adresse à Sa Majesté d’une voix de stentor, et comme s’il discourait sur une place publique. Chef du parti libéral, il a débuté en politique comme conservateur. Ministre de Peel au temps de sa conversion au libre-échange, farouche adversaire de Palmerston et de sa diplomatie de la canonnière, il s’est rallié à ce dernier pour entrer dans son gouvernement en 1859. Dans ses discours de tribun de la plèbe, celui qu’on appelle « le William du peuple » met une verve enflammée de prédicateur protestant.
Victoria ne peut pas ignorer ce que tout le monde sait : Gladstone hante nuitamment les quartiers mal famés de Londres, et monte avec des prostituées, non pas pour commettre avec elles des abominations, mais au contraire pour leur offrir de l’argent et son éloquence, afin de les convaincre de réformer leur conduite pour se sauver corps et âme. Il expie, dit-on, les pensées impures qu’ont pu faire naître en lui ces expéditions en s’infligeant des flagellations. Si les intentions sont peut-être louables, la méthode s’avère pour le moins choquante.
Quant à la proposition de désétablir l’Église d’Irlande, qui l’amène aux affaires, Victoria ne veut pas en entendre parler. Bien qu’elle ne puisse pas réellement y faire obstacle, elle la considère comme une atteinte scandaleuse aux prérogatives royales, et n’est pas loin d’y voir un affront personnel. Mr Gladstone n’imagine tout de même pas obtenir l’assentiment de la reine ! Sa Majesté ne souhaite en aucune manière pouvoir être associée à son projet pour l’Église d’Irlande. Elle n’ira pas à Westminster pour l’ouverture de la session parlementaire de 1869. Gladstone insiste : c’est le premier Parlement après la réforme électorale. Ne peut-elle au moins venir entendre la réponse du gouvernement ? Tout à fait impossible : le prince Léopold est gravement malade... Clarendon, ministre des Affaires étrangères du gouvernement Gladstone, choisit d’y voir un signe de bonne santé de la monarchie : « Eliza rugit bien, dit-il dans un langage codé d’une espiègle transparence : elle peut faire tout ce qu’elle veut et rien de ce qu’elle ne veut pas. »
Disraeli voulait que le prince de Galles prenne une résidence en Irlande. Gladstone revient à la charge, en proposant qu’il en devienne le vice-roi. Quelle idée ! Ce serait un bien étrange début de règne pour le futur roi du Royaume-Uni. Par ailleurs – Victoria garde cet argument pour elle –, Bertie persiste à faire des choix qui ne lui plaisent guère. Il s’entoure d’une cour d’amis à qui leur grande fortune ne devrait pas ouvrir les cercles aristocratiques. Ces millionnaires sont des commerçants et des spéculateurs, comme l’épicier Sir Thomas Lipton, le marchand de meubles Sir Blundell Maple, le magna de presse Sir Edward Lawson, le financier juif Maurice de Hirsch, ou le trafiquant d’opium indien en Chine Elias David Sassoon. Incidemment, la question se pose d’octroyer la pairie au banquier Lionel de Rothschild. Pour Victoria, c’est « impensable ». La reine « ne peut pas consentir à ce qu’un Juif soit fait pair du royaume, même si elle ne s’opposerait pas à ce qu’un Juif soit fait baronet », non pas seulement pour des motifs religieux, mais parce que sa fortune a été acquise « par les paris à grande échelle ».
« Si tu deviens roi un jour, dit-elle à Bertie, tu trouveras tous ces amis très encombrants et tu devras rompre avec eux tous . »
La reine elle-même veille très scrupuleusement à ne pas se laisser imposer des relations qui pourraient se révéler compromettantes. Un banquier de Dublin, John de la Touche, veut faire don d’un domaine à Sa Majesté pour qu’elle y établisse une résidence saisonnière. Gladstone la presse d’accepter. Elle décline poliment l’offre : la Couronne ne saurait être l’obligée d’un sujet. En outre, Victoria ne croit pas vraiment qu’une présence de la famille royale en Irlande puisse être une bonne chose. S’il lui fallait une confirmation dans cette opinion, elle pourrait la trouver dans les réactions déplorables qu’a suscitées la récente visite du prince Arthur. À Derry, les orangistes ont saisi l’occasion de molester
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