Victoria

hésite à lancer l’offensive, les États allemands apeurés se rallient à Bismarck.
    « Cette déclaration de guerre ! écrit Victoria à Vicky. Cet acte de folie ! »
    Encore incertain de la réaction du Royaume-Uni, Bismarck publie le texte d’un traité secret, proposé par Napoléon III au roi de Prusse, par lequel la France aurait consenti à l’union de la Prusse avec les États allemands du Sud, à condition que l’Allemagne aide la France à s’emparer de la Belgique. Le document date de septembre 1866. Les Anglais y voient la preuve d’une intention belliqueuse de Napoléon III contre la Grande-Bretagne, à une époque où il se prétendait son allié. Voilà qui ne les incite pas à intervenir.
    « La reine se demande comment elle peut le supporter ! écrit-elle à Lord Granville, secrétaire d’État aux Affaires étrangères. Le foyer de ses enfants menacé, leurs maris en danger de mort, et le pays qu’elle aime le plus après le sien, car c’est sa seconde patrie, puisque c’est celle de son cher époux, dans le plus grand péril. »
    Puis, à la reine Augusta de Prusse : « Que Dieu protège notre chère Allemagne ! »
    En août, la France perd toutes les batailles. Mac-Mahon est battu dans le Bas-Rhin. Bazaine est assiégé dans Metz. Victoria reçoit de jour en jour, d’heure en heure, des télégrammes l’informant du déroulement des opérations.
    « Cet abominable bain de sang, écrit-elle à la reine de Prusse, est vraiment trop horrible dans l’Europe du XIX e  siècle. Avec les armes d’aujourd’hui c’est vraiment trop épouvantable, et quand cette guerre sera finie, il faudrait s’efforcer de trouver un moyen d’empêcher de telles guerres une fois pour toutes. »
    « Cela ressemble vraiment à un jugement du Ciel ! dit-elle à Vicky. Tout semble échouer ! Pour odieux, impertinents, insultants et vantards que les Français aient toujours été, on ne peut pas s’empêcher de les plaindre. »
    Le 3 septembre, Victoria se rend avec Béatrice et sa suite à Chislehurst, où elle accueille dans la maison de Camden Place l’impératrice Eugénie et le jeune prince Louis-Napoléon. L’empereur a été fait prisonnier à Sedan. Le 4 septembre, le peuple de Paris envahit le Palais-Bourbon et Léon Gambetta proclame la République à l’Hôtel de Ville.
    Pendant les derniers mois de l’année 1870, les combats se poursuivent en France après que Gambetta, s’étant échappé en ballon de Paris occupé, organise une riposte militaire en province. La confusion règne, tandis que le gouvernement se réfugie à Tours, puis à Bordeaux. Dijon est reprise par Garibaldi, qui, dans un élan d’enthousiasme républicain, est venu prêter main-forte en apprenant la chute de l’Empire. Au Royaume-Uni, l’opinion oublie un temps ses querelles et se passionne pour cette épopée. Au début de la guerre, seuls les catholiques d’Irlande et d’Angleterre tenaient pour la France. Après Sedan et la proclamation de la République, les classes populaires et les démocrates les rejoignent.
    L’état d’esprit qui règne à Londres à l’automne 1870 n’est peut-être pas étranger à la façon dont est reçue l’annonce des fiançailles de la princesse Louise. La sixième fille de Victoria doit épouser John Campbell, marquis de Lorne. Il ne s’agit pas d’un « mariage politique », au sens où Victoria l’entend. Néanmoins, cette union est interprétée comme un signe en faveur des idéaux démocratiques. Car en choisissant pour la princesse Louise un époux parmi ses sujets, la reine rompt avec la tradition des Brunswick, pour revenir à la coutume des Plantagenêts, des Tudors et des Stuarts. Toutefois, l’opinion populaire se divise sur la question de savoir si le Parlement doit octroyer une dot à la princesse sur les deniers de l’État. On fait valoir que la famille royale devrait se soumettre à la règle qui prévaut pour les personnes privées, selon laquelle le mari doit subvenir aux besoins financiers de sa femme. Un pamphlet, intitulé Qu’est-ce qu’elle en fait ? , s’interroge sur les revenus de la Couronne, accusant la reine d’économiser des sommes faramineuses sur sa liste civile. Finalement, la polémique s’apaise, au motif qu’une grande nation se doit de donner à un membre de la famille royale les moyens de tenir son rang.
    Il est vrai que l’actualité internationale offre d’autres sujets de préoccupation. Le