Victoria
bombardement de Paris soulève l’indignation des Anglais contre les Prussiens. Victoria remarque ce retournement de l’opinion, et ses sentiments personnels sont partagés. En effet, elle ne peut qu’être fière des brillants faits d’armes de ses gendres. Fritz, le Kronprinz Frédéric-Guillaume, à la tête de la III e armée allemande, s’est illustré à Woerth, Wissembourg, Sedan et Paris. Le prince Louis, mari d’Alice, commandait le contingent de Hesse.
« Qu’est-ce que votre cher Papa aurait pensé de cette guerre ? écrit Victoria à Alice. L’unité de l’Allemagne, qu’elle permet, lui plairait. Mais pas les moyens choquants par lesquels elle s’est faite. »
Le 18 janvier 1871, le roi Guillaume I er de Prusse, père de Fritz, est proclamé « empereur allemand » dans la galerie des Glaces du château de Versailles. Le destin de Fritz et Vicky, héritiers de la couronne impériale, acquiert la grandeur qu’avaient espérée pour eux Victoria et Albert.
Lorsque Victoria se rend en procession à Westminster pour y ouvrir la session parlementaire de 1871, le peuple de Londres lui boude ostensiblement ses acclamations pour la première fois de son règne. Le sentiment anti-allemand du public participe à sa mauvaise humeur. D’autre part, l’Église d’Irlande est désormais désétablie malgré l’opposition de Victoria, qui s’est abstenue du discours du trône deux années consécutives pour marquer sa désapprobation de la politique de Gladstone. Elle y revient maintenant qu’elle souhaite demander une dot pour la princesse Louise. À cela, il faut ajouter que la reine, aussi bien que son Premier ministre, paraît tourner résolument le dos à ce qui fut autrefois la bonne entente franco-britannique et l’inclination francophile de Palmerston.
« Le sentiment général envers la Prusse, écrit-elle à la future impératrice d’Allemagne, est dans ce pays aussi amer qu’il peut l’être. Cela me chagrine beaucoup, et je ne peux rien faire. De voir l’inimitié grandir entre deux nations (inimitié qui, je me dois de le dire, commença d’abord en Prusse de manière très injuste, et fut fomentée et encouragée par Bismarck) est pour moi une grande peine et une grande angoisse, et je ne peux pas être en désaccord, ni me permettre d’être en désaccord, avec mon peuple. Car c’est, hélas ! le peuple, encore très allemand il y a trois mois de cela, qui est maintenant très français. »
Les exigences territoriales exorbitantes de la Prusse et la volonté affichée par Bismarck d’humilier la France sont fort mal ressenties par le peuple britannique. La Grande-Bretagne tente d’intercéder auprès de la Prusse, pour dissuader Bismarck d’annexer l’Alsace et la Lorraine. Le diplomate anglais Sir Andrew Buchanan affirme que le tsar Alexandre écrit aussi dans ce sens à l’empereur Guillaume. À Londres comme ailleurs, il paraît inévitable que l’acharnement de l’Allemagne impose aux Français un devoir sacré de revanche.
Quoi qu’il en soit, la diplomatie britannique se montre impuissante. Bismarck ne se donne même pas la peine de répondre aux tentatives d’intervention du gouvernement de Gladstone. Victoria n’a pas d’influence suffisante sur l’empereur Guillaume, et encore moins sur son chancelier. Pour toute réplique, Bismarck fait valoir que la Grande-Bretagne aurait pu empêcher la guerre en intervenant plus tôt. Si elle ne l’a pas fait, c’est sans doute qu’elle est trop heureuse de voir la France éliminée du nombre des puissances européennes. Il ajoute que l’Allemagne, en se portant au secours de la Belgique, a fait le devoir de la Grande-Bretagne à sa place. Par ailleurs, il riposte en soulignant que des Anglais ont clandestinement livré des armes aux Français, omettant au passage de remarquer que les Américains ont fait de même.
Il est trop tard. Le Royaume-Uni n’a pas voix au chapitre. Il s’est mis hors jeu, de longue date, par sa politique de non-intervention en Europe, accentuée sans doute par la situation insurrectionnelle en Irlande. Gladstone est muselé.
Au mois de mars, le déclenchement de la Commune de Paris inspire à Londres des sentiments partagés. S’ils réveillent l’agitation républicaine, ces événements suscitent aussi la crainte confuse de voir ressusciter les vieux démons des guerres continentales, entraînées par la révolution de 1789.
« La Commune fait tout ce qu’elle
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