Victoria
ont eu d’exemplaire. Elle a entrepris, avec l’aide de Helena, de rédiger une biographie d’Albert. Puis elle a demandé l’avis du Pr Adam Sedgwick, qui fut à Cambridge le professeur de géologie de Charles Darwin. Un tel ouvrage, répond Sedgwick, est de nature à « exalter l’amour et la loyauté de tout Anglais de cœur ». Victoria confie donc au journaliste Theodore Martin le soin de rédiger Les Jeunes années du prince consort . Cette hagiographie d’Albert doit montrer qu’il existe bel et bien des princes éclairés, qui vouent entièrement leur vie au service du pays.
À part cela, les apparitions publiques de Victoria lui sont rendues pénibles par un état de dépression qui se traduit par des souffrances physiques. Souvent au bord de l’évanouissement, elle est prise de « vomissements nerveux », où le Dr Jenner voit un exutoire naturel salutaire. Cet été-là, elle reçoit à Osborne l’impératrice Eugénie, toujours en froid avec son auguste époux. Au Mexique, l’empereur Maximilien, que Napoléon III tentait d’imposer, est exécuté. Il était le gendre du roi des Belges Léopold I er . Décidément, l’époque n’est guère favorable aux têtes couronnées.
La visite du vice-roi d’Égypte est quelque peu éclipsée par celle du sultan Abd ül-Aziz de Turquie, qui manque de donner lieu à un incident diplomatique. Le Premier ministre a pensé lui conférer l’Étoile de l’Inde, mais le sultan ne veut accepter rien de moins que l’ordre de la Jarretière. Sur le pont d’un navire qui tangue sur le Solent secoué par la tempête, Abd ül-Aziz a le mal de mer et Victoria improvise. Aucun ruban n’ayant été prévu, elle doit utiliser celui du mari d’Alice, le prince Louis de Hesse.
Point de répit pour la reine, dont même les vacances à Balmoral sont gâchées par des policiers armés qui suivent chacun de ses pas. Les fenians, dit-on, complotent de l’enlever ou de l’assassiner. « Nous allons devoir en pendre quelques-uns, dit-elle, et nous aurions dû le faire plus tôt. » Refusant de se laisser intimider, elle ne change rien à son agenda : elle inaugure une statue d’Albert à Aberdeen, visite la maison de Walter Scott à Abbotsford. Elle prie néanmoins pour l’âme des « martyrs de Manchester », des fenians condamnés à mort pour avoir mortellement blessé un policier dans l’attaque de la prison.
Les rumeurs alarmantes s’intensifient. Un commando serait parti de New York à bord d’un navire « corsaire » pour venir assassiner Sa Majesté. La capitale, à elle seule, compte plus de cent cinquante clubs fenians soupçonnés de comploter des attentats. Les renseignements indiquent qu’ils projettent de tuer la reine ou d’enlever le prince de Galles, à moins qu’ils ne veuillent faire exploser le Parlement. Victoria refuse de quitter l’île de Wight, où il est pourtant plus difficile d’assurer sa protection. Londres grouille d’agents spéciaux. L’arsenal de Woolwich est sur le pied de guerre – on craint une attaque des Irlandais par la Tamise.
« Le pays n’a jamais été plus loyal ni plus sûr, écrit néanmoins Victoria à Vicky. Je me jetterais au milieu de mes sujets anglais et de mes chers Écossais (Londres excepté, car la ville est énorme et pleine d’Irlandais) que j’y serais aussi en sécurité que dans ma chambre. »
En février 1868, le Premier ministre Derby se retire des affaires pour raisons de santé. À la demande de Victoria, Disraeli le remplace à la tête du gouvernement conservateur. Il a réussi à faire voter sa réforme électorale. Voici qu’il accède enfin à ce poste suprême dont il rêve depuis sa jeunesse. « J’ai grimpé, se réjouit-il en privé, jusqu’au sommet du mât savonné. » Il arrive à Osborne, où il s’agenouille devant Sa Majesté pour lui baiser la main.
« Votre Premier ministre s’aventure à espérer, dit-il de sa voix mielleuse, que dans les grandes affaires de l’État Votre Majesté daignera ne pas lui retirer le bénéfice des conseils avisés de Votre Majesté. »
Avant de le rencontrer personnellement, Victoria n’avait pas une grande estime pour ce dandy cauteleux, à l’obséquiosité tout orientale. Elle ne serait pas surprise outre mesure d’apprendre ce qu’il a dit au poète Matthew Arnold : « Tout le monde aime la flatterie, et quand elle s’adresse à la royauté, il faut l’appliquer à la truelle. » Disraeli
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