Victoria
dont elle confie la réception au prince de Galles, les délégations des sectes protestantes dissidentes qui réclament leur privilège d’audience pour réaffirmer leurs droits civils, etc. Il faut ensuite quitter un instant l’Angleterre pour participer aux célébrations du Jubilé de diamant en Écosse.
Au mois d’octobre, la reine apprend le décès de sa cousine Mary de Teck, fille du duc de Cambridge. Elle était la mère de la duchesse d’York, May, l’épouse de Georgie. La duchesse de Teck n’a pas laissé d’instructions pour ses propres obsèques. Victoria entreprend de rédiger des directives pour les siennes, qui devront être des funérailles militaires.
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Dix-sept ans et un mois, jour pour jour, après Disraeli, Gladstone est mort, le 19 mai 1898. Victoria télégraphie sa sympathie à Catherine Gladstone. « Aucune épouse ne fut jamais aussi dévouée que vous, et la perte du seul objet de votre vie est irréparable. » Toutefois, dans sa correspondance avec Vicky, elle refuse de concéder que le G. O. M. fut un « grand Anglais ». Si elle lui reconnaît des qualités et une sincérité évidentes, il a commis à ses yeux des fautes impardonnables. Son projet de Home Rule pour l’Irlande et ses attaques contre la Chambre des lords étaient pour Victoria des atteintes à l’intégrité du Royaume-Uni et de sa Constitution. Plus grave encore, elle a toujours considéré que ses discours visant à attiser la guerre des classes étaient de nature révolutionnaire, c’est-à-dire politiquement scélérats, bien qu’ils ne le fussent vraisemblablement que par démagogie. Par ailleurs, son désintérêt pour les Affaires étrangères revenait, du point de vue de la reine, à une incompétence coupable pour un Premier ministre britannique. Enfin, elle ne lui a jamais pardonné d’avoir abandonné Gordon au Soudan. Cela dit, Victoria serait sans doute d’accord sur ce point avec Sarah Bernhardt : « Il faut haïr très peu, car c’est très fatigant. » D’ailleurs, elle pense sincèrement que Gladstone était un peu fou.
« Il était intelligent, écrit-elle dans son journal, et plein d’idées pour l’amélioration et l’avancement du pays, toujours très loyal envers moi personnellement, et prêt à tout faire pour la famille royale. Hélas ! Involontairement, j’en suis sûre, il a fait parfois beaucoup de mal. Il avait un formidable pouvoir de parole et d’entraîner les masses avec lui. »
Depuis le retour aux affaires de Salisbury, à la tête d’un cabinet unioniste réunissant des conservateurs et des libéraux, la politique extérieure britannique a repris une tournure impérialiste. La mainmise de la Grande-Bretagne sur l’Égypte est une des clés de son expansion en Afrique. Les Anglais attisent et soutiennent les revendications du khédive sur le Soudan, en lorgnant sur la « ligne rouge » que Rhodes rêve de tracer jusqu’au Cap. Le major général Herbert Kitchener, sirdar , c’est-à-dire commandant en chef de l’armée égyptienne, travaille à laver l’affront subi en 1885 par Gordon et Wolseley. Depuis 1896, il fait avancer ses troupes vers le sud, en direction de Khartoum, construisant une ligne de chemin de fer dans la vallée du Nil, bien décidé à en découdre une fois pour toutes avec les derviches du mahdi. Il y parvient le 2 septembre 1898, à la bataille d’Omdurman. Les mahdistes sont cruellement anéantis, Khartoum est prise, les Britanniques établissent un protectorat sur le Soudan. Victoria confère à Herbert Kitchener la pairie avec le titre de baron.
Toutefois, alors que le Royaume-Uni entreprend de « peindre l’Afrique en rouge » selon un axe nord-sud, la République française pénètre le continent noir d’ouest en est, sur une ligne qui passe par le Sénégal, le Mali, le Niger, le Tchad et le Soudan. Lorsque Kitchener investit Khartoum, depuis plus de deux mois déjà le commandant de l’armée française Jean-Baptiste Marchand occupe Fachoda, à 650 kilomètres au sud, sur le Nil blanc. Les deux hommes se rencontrent assez courtoisement pour que la diplomatie puisse se mettre à l’ouvrage, pendant que la Royal Navy manœuvre au large de Brest et de Bizerte.
Dans la presse française et britannique, la crise de Fachoda réveille quelques vieux démons. Toutefois, les deux pays ont intérêt à s’entendre devant la politique de l’Allemagne, durcie par Guillaume II qui surenchérit sur Bismarck. Pour
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