Victoria
Elle reçoit des objets, avec prière de les retourner si elle n’en veut pas ou de régler la facture si elle les garde. On lui propose du champagne ou un chat bleu-blanc-rouge. Et puis il y a les fous, tel qui lui demande un royaume, tel autre qui se prétend son fils…
« 20 juin 1896. Cinquante-neuf longues années depuis que j’ai accédé au trône ! dicte-t-elle à Béatrice, qui désormais rédige pour elle son journal, en ce premier jour de sa soixantième année de règne. Quelle longue période pour porter un si lourd fardeau ! Dieu m’a guidée au milieu de terribles épreuves, souffrances et anxiétés, et m’a merveilleusement protégée. J’ai vécu assez longtemps pour voir mon cher pays et mon vaste empire prospérer et s’étendre, et demeurer merveilleusement loyal ! »
« 23 septembre 1896. Aujourd’hui est le jour où j’ai régné plus longtemps, d’un jour, qu’aucun autre souverain anglais, et les gens souhaitaient faire toutes sortes de manifestations, mais je leur ai demandé d’attendre que j’aie accompli la soixantième année en juin prochain. »
La célébration d’un nouveau jubilé se prépare. L’événement étant sans précédent, on peine quelque peu à trouver une appellation que Sa Majesté puisse cautionner. Sir Arthur Bigge, secrétaire particulier remplaçant Sir Henry Ponsonby, décédé l’année précédente, propose « Jubilé de diamant », celui des cinquante ans étant le « Jubilé d’or ». V. R. I. approuve en apposant ses larges initiales à la craie bleue.
Devant le château de Balmoral, William Edward Downey photographie la reine dans sa petite voiture, entouré du tsar Nicolas II et de la tsarine Alexandra Feodorovna, Alicky, ainsi que sa fille Louise. La duchesse Louise, épouse d’Arthur, est venue avec ses filles Margaret et Patricia, dont les prénoms irlandais rappellent que leur père est duc de Connaught. Deux ghillies en kilt mènent le poney par la bride. Victoria tient dans son giron le turbulent Tutti, son loulou de Poméranie blanc. Elle sait que le jeune Downey utilise un « théâtrographe » de Robert Paul, dont il tourne longuement la manivelle du volant d’inertie, pour faire des « images animées ». Pour l’instant, on prend toujours la pose devant l’objectif, comme pour un tableau vivant. Le photographe compte sur les petits chiens pour ne pas trop rester en place. Il a fait asseoir la princesse Patricia en équilibre précaire sur le marchepied de Grand-Maman, un fox-terrier turbulent sur les genoux. Le vent agite doucement les robes, les kilts et la plume au chapeau du tsar. Puis le groupe va et vient sur l’esplanade. Lorsqu’en novembre Victoria aperçoit le film à travers sa cataracte, découvrant à cette occasion les images cinématographiques, elle est tout à fait conquise.
« C’est un procédé très merveilleux, représentant les personnes, leurs mouvements et leurs actions, comme s’ils étaient vivants. »
Le téléphone est installé cette année-là, après une longue résistance de la souveraine. Lorsque Graham Bell était venu lui faire essayer son nouvel appareil en 1878, elle avait trouvé le son très faible, et le procédé pas très intéressant. Les retards répétés de ses musiciens, l’ayant contrainte plusieurs fois de passer à table sans God Save the Queen et de commencer à dîner sans musique, tandis que des ménestrels pantelants escaladaient les balcons, ont eu raison de sa réticence. Les liaisons téléphoniques internes facilitent désormais le fonctionnement de l’immense maison royale. En plus des connexions ordinaires, des lignes privées relient le château de Windsor au bureau de poste et à la gare, le palais de Buckingham à Marlborough House.
Dans les rues de Londres, quelques voitures à moteur pétaradent dans un nuage de fumée malodorante, effrayant les chevaux, poursuivies par des chiens qui aboient pour chasser ces intruses. Depuis quelques années, on voit filer sur des bicyclettes des « nouvelles femmes », qui fument en public et dont certaines vont jusqu’à porter la cravate.
Les célébrations du Jubilé de diamant débutent avec l’année 1897, par un Te Deum en plein air, sur le parvis de la cathédrale Saint-Paul, auquel Sa Majesté assiste, immobile dans sa calèche. La reine poursuit inlassablement son ouvrage. Elle a écrit au roi du Danemark, pour le supplier en vain de persuader son fils, le roi de Grèce,
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