Victoria
musicales à figurines dansantes, des éclairages extérieurs en couleurs. Toutes choses désormais démodées, et qui n’ont d’ailleurs jamais été dans le goût des bons bourgeois susceptibles d’acquérir une telle demeure, malgré son style néoclassique encore fort prisé.
Pressé par ses créanciers, le duc de Kent imagine alors de vendre sa propriété par loterie. Lord Castlereagh, leader de la Chambre des communes, s’y oppose formellement. Peut-être, alors, pourrait-on envisager une tontine ? Il laisse à ses amis le soin de mettre en œuvre quelque expédient de cet ordre.
La cherté de Londres et du train de vie qu’il lui faut bien mener à Kensington le fait sérieusement songer à trouver un domicile plus discret et moins onéreux. Cependant, la vie de palais lui pèse aussi pour d’autres raisons. On se gausse des Kent et de leurs façons casanières, lorsque, invités à Windsor au mois de septembre, ils vont se coucher de bonne heure. Le régent manifeste au duc une froideur, une détestation, où compte pour beaucoup la mesquine jalousie d’un homme que le destin dépossède de la paternité d’un futur monarque au profit de son frère. Lors d’une réception à l’ambassade d’Espagne, le prince régent l’a publiquement insulté, lui tournant le dos et refusant de lui adresser la parole.
Peut-être cette forte tension de ses relations avec les membres les plus éminents de la famille royale a-t-elle aussi quelques raisons politiques. Car ses amis sont essentiellement des whigs : ils ne sont certainement pas du même bord que le gouvernement de Lord Liverpool, responsable, en août de cette année 1819, du « massacre de Peterloo », ce Waterloo social de St Peter’s Fields à Manchester, où une soldatesque ivre a mortellement chargé des manifestants qui demandaient une réforme parlementaire. Le duc de Kent est notoirement l’ami et le défenseur de Robert Owen, industriel progressiste qui, dans ses filatures de New Lanark, met en œuvre ses théories « coopératistes ». Owen est un socialiste, qui s’est prononcé dès 1817 en faveur des « 8 heures de travail, 8 heures de loisir, 8 heures de sommeil », et qui de surcroît balaie d’un revers de main toute idée de religion. En outre, Edward de Kent s’autorise une passion pour les discours de fin de banquet, et ses péroraisons ne sont peut-être pas toujours de la plus vétilleuse prudence.
Quoi qu’il en soit, Edward se rassure en comptant sur sa force physique et sa bonne santé, qui lui viennent de son existence saine et régulière. Sans doute même une certaine préférence un peu romantique pour la vie rurale et les bienfaits de l’air marin entre-t-elle dans sa décision de s’installer en famille à Sidmouth, une station balnéaire du Devon. Woolbrook Cottage est une maison plutôt modeste, malgré ses deux étages aux fenêtres en ogive et ses façades blanches surmontées de créneaux fantaisie. Les Kent y arrivent dans l’après-midi du jour de Noël 1819, au milieu d’une formidable tempête de neige. Le duc souffre de maux d’estomac, attrapés en chemin dans quelque auberge, qui le laissent affaibli. La mer est déchaînée. Il fait un froid « plutôt canadien » et tout le monde s’enrhume, y compris la petite.
Le 28 décembre, dans la lumière déclinante du jour d’hiver, la duchesse est assise au coin de la cheminée, veillant la princesse qui somnole dans son berceau.
Tout à coup, une détonation retentit. Un carreau vole en éclats. La mère se précipite vers l’enfant, innocemment impassible, dont la manche du vêtement a été déchirée par le coup de feu.
Excessivement commotionnée, la duchesse manque défaillir. Ses dames accourent. Dehors, on entend des cris. Les valets se sont emparés d’un jeune garçon. C’est un apprenti, du nom de Hook, qui prétend tirer aux moineaux avec de très gros plombs utilisés d’ordinaire pour la chasse au cygne.
Dès le lendemain, John Conroy, écuyer du duc, écrit au juge de paix local pour lui demander de « prendre des dispositions pour prévenir un tel incident ». Mais, ajoute-t-il, « leurs Altesses royales désirent très expressément que le garçon ne soit pas puni. Elles interviennent seulement pour éviter que la chose se produise de nouveau ».
Accident ou attentat ? Peu importe. Ces choses-là font aussi partie de la vie des princes. Le duc se félicite en privé que la petite ait essuyé son
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