Victoria
baptême du feu sans broncher, comme il sied à une fille de soldat.
Hélas, dans les premiers jours de l’année 1820, Edward de Kent est au plus mal. Affaibli déjà par son mal de ventre, il a pris froid en s’occupant lui-même des chevaux. La fièvre le tient. Il délire. Il vomit. On le saigne et son état empire. Le Dr Wilson, son médecin personnel, lui applique des sangsues.
Voyant bien que ce traitement ne fait qu’aggraver les choses, la duchesse écrit à la cour et demande qu’on veuille bien dépêcher le Dr Dundas, réputé le meilleur praticien royal. On lui répond que le roi George III se meurt et l’on envoie le Dr Maton, ancien médecin de la reine Charlotte. Celui-ci ne parle ni l’allemand ni le français, et l’anglais de la duchesse n’est pas suffisant pour qu’ils se comprennent. Quand il apprend qu’on entend le saigner davantage, le duc en pleure. On lui applique des ventouses.
« C’est trop affreux, écrit la duchesse à son amie Polyxène von Tubeuf. Il n’y a pas un endroit de son cher corps qui n’ait été touché par les sangsues, les ventouses et les saignées. Il était terriblement épuisé hier après tout ce que lui ont fait ces cruels docteurs. »
Le prince Léopold arrive, accompagné de son ami intime et médecin personnel le baron von Stockmar qui, après avoir brièvement examiné le patient, ne laisse aucun espoir à la duchesse : « La science des hommes n’y peut plus rien. » Le régent, prévenu de l’état de son frère, exprime son « anxieuse sollicitude ».
« Si seulement, dit Edward en l’apprenant, je pouvais lui serrer la main, je mourrais en paix. »
Par deux fois, on donne au duc de Kent lecture de son testament. Il a tout juste la force de signer et de demander si sa signature est lisible.
« Que le Tout-Puissant protège ma femme et mon enfant, et me pardonne tous les péchés que j’ai commis. »
Puis, se tournant vers la duchesse : « Ne m’oubliez pas. »
Le 23 janvier 1820, Edward de Kent n’est plus. La semaine suivante, le roi George III s’éteint à Londres. Le régent devient le roi George, quatrième du nom.
3
L’évêque de Salisbury s’est agenouillé sur le tapis jaune où Victoria, plus désireuse d’attirer l’attention des grandes personnes que de jouer avec ses poupées, faisait un caprice. Cette situation inhabituelle l’a stoppée net. Mgr Fisher la laisse s’amuser avec son collier de l’ordre de la Jarretière. C’est une grosse étoile blanche, où brille la croix rouge de Saint-Georges dans un cercle bleu figurant la boucle du ruban.
Après la mort de son mari, la duchesse de Kent est revenue vivre au palais de Kensington avec ses enfants. Se retrouvant sans aucune fortune, elle a emprunté quelque argent sur la signature de Léopold, qui subvient aux besoins de sa maison en lui reversant 3 000 livres sur les 50 000 livres de l’annuité que le Parlement continue pour l’instant d’accorder au veuf de la princesse Charlotte. Avec le temps, la duchesse maîtrise assez bien la langue anglaise pour commencer de se contraindre à ne plus parler allemand à Vickelchen.
En décembre 1820, Adélaïde de Clarence, épouse de William, a donné naissance à une petite Elizabeth : « Little Queen Bess ». Victoria recule d’un cran dans l’ordre de succession. Léopold a quelques difficultés à convaincre sa sœur de ne pas retourner vivre à Amorbach.
Constamment sous la surveillance d’une personne de rang, ne descendant jamais un escalier sans être fermement tenue par la main, Victoria dort dans la chambre de sa mère, où le tic-tac d’une pendule en écaille de tortue entretient le souvenir de son père.
« Ton Père qui est aux Cieux voit dans ton cœur tout le temps. »
Le roi George IV refuse de placer Victoria sous la protection royale ? « Souvenez-vous, écrit le prince Léopold au Premier ministre, Lord Liverpool, que ce n’est pas moi qui ai mis la main sur l’éducation de la princesse, mais que la princesse m’est de cette manière confiée par le roi, et que Sa Majesté me délègue ainsi un pouvoir qui lui appartient. »
Peu de choses viennent égayer cette existence maussade au palais de Kensington où Victoria s’ennuie. Elle apprécie surtout d’être invitée à Claremont, où Léopold organise de brillants dîners accompagnés de musique. Elle aime y rendre visite aux animaux de la ferme.
Son oncle Frederick d’York,
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