Victoria
fils George hériteraient du trône si Victoria mourait avant d’avoir eu un enfant. D’ailleurs, ne l’a-t-on pas entendu dire qu’une seule vie fragile se dresse entre lui et la couronne, et qu’il pourrait encore être roi d’Angleterre ? Cumberland réplique en faisant courir le bruit que la duchesse de Kent est bien loin d’être indifférente aux charmes de son intendant.
Derrière une fenêtre des appartements du duc de Sussex, au palais de Kensington, le jeune Lord Albemarle observe la petite princesse, en bas, dans le jardin. Victoria, en simple robe de coton blanc, se tient immobile et pensive. Ses boucles blondes tombent sur ses épaules. Son large chapeau de paille est retenu par un fichu noué sous le menton. Une chantepleure à la main, elle arrose les fleurs, répartissant très équitablement l’eau entre les pensées de la plate-bande et ses chaussons de satin rose.
Au milieu de l’immense Grand Parc de Windsor, la Royal Lodge se dresse parmi les frondaisons. Courant sur sa longue façade, une véranda abrite les portes vitrées du rez-de-chaussée et sert de balcon à l’étage. Les hautes cheminées surplombent çà et là les toits d’ardoises où s’ouvrent des mansardes. Le roi George IV affectionne tout particulièrement ce pavillon de chasse.
En juillet 1826, Mme de Kent reçoit une invitation à s’y rendre avec ses deux filles. Victoria y côtoie la duchesse de Cambridge et ses cousins, les princes George de Cumberland et Augustus, fils du duc de Sussex. Elle est fascinée par les éclatantes livrées écarlates des gens du souverain. Quelques fleurs à la main, elle regarde arriver une voiture ouverte, conduite par un postillon qui monte l’un des quatre chevaux de l’attelage. Elle y reconnaît, à côté du roi, sa tante Charlotte, princesse royale et reine de Wurtemberg, et en face d’elle la volumineuse princesse Augusta. Les dames sont en robe de soirée. Le roi fait un geste majestueux vers elle.
« Donnez-moi votre petite patte », lui dit-il d’une voix grave et lente.
Victoria monte dans la voiture. Son « oncle roi », comme elle l’appelle, l’assied sur ses énormes cuisses. Il est vraiment très gros. Sous sa perruque d’autrefois, son visage bouffi est luisant de sueur et de maquillage.
« Comme je ne verrai pas mon cher oncle pour son anniversaire, dit-elle, je désire lui donner maintenant ce bouquet. »
Le roi remercie d’un sourire en inclinant pompeusement la tête.
« J’aimerais que vous portiez ceci », répond-il en lui montrant un médaillon serti de diamants, représentant son portrait en miniature.
Lady Conyngham agrafe sur l’épaule gauche de Victoria le ruban bleu qui soutient le bijou. Tandis qu’un sentiment de fierté envahit l’enfant, elle réalise que toutes les princesses arborent la même décoration.
Confiée pour l’occasion à Lady Maria Conyngham, une belle jeune femme brune, accompagnée de Miss Lehzen, Victoria prend place dans une petite voiture tirée par quatre poneys gris. C’est une longue promenade dans les allées sableuses du parc. Ici, les grands arbres semblent former une très haute tonnelle au-dessus du chemin. Là, de vastes perspectives se dégagent, amples prairies parsemées de chênes très anciens, aux troncs massifs soutenant de volumineuses ramures, où s’aperçoivent de loin en loin des chevreuils. Lentement traversée, Queen Anne’s Ride, une large avenue herbeuse bordée de deux rangées de chênes plantés à intervalles réguliers, s’en va en ligne droite de part et d’autre à perte de vue. Enfin, voici Sandpit Gate, à l’orée sombre de la grande forêt, avec sa ménagerie de gazelles, de wapitis et de chamois.
Le lendemain, de l’autre côté du parc, Victoria se promène sur la berge verdoyante de Virginia Waters. Des cygnes flânent sur ce lac dont les confins se perdent dans le paysage. Les eaux reflètent l’image du Fishing Temple qui s’élève parmi les saules pleureurs de la rive opposée. Juchée sur six pilotis comme quelque palais vénitien, cette pagode à structure symétrique dresse ses trois échauguettes d’où montent des flèches ondoyantes, la tour centrale se haussant au-dessus des bosquets comme une espèce de minaret.
Soudain, un phaéton arrive à vive allure, conduit par le roi lui-même, accompagné de sa sœur la princesse Mary, duchesse de Gloucester.
« Flanquez-la ici », dit le roi.
Déjà Victoria est posée, entre
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