Vie de Benjamin Franklin, écrite par lui-même - Tome II
concevoir, dis-je, quel écoulement d'eau auroit lieu dans les régions qui sont sous la ligne, et quel exhaussement de terres s'opéreroit dans celles qui sont sous les pôles. Beaucoup de terres, qui sont à présent sous les eaux, resteroient à découvert, et d'autres seroient submergées, puisque l'eau s'élèveroit ou s'enfonceroit de près de cinq lieues dans les extrémités opposées. Une telle opération est peut-être cause qu'une grande partie de l'Europe, et, entr'autres endroits, la montagne de Passy, où je demeure, et qui est composée de pierre à chaux, de roc et de coquilles de mer, a été abandonnée par cet élément, et que son climat est devenu tempéré, de chaud qu'il semble avoir été.
Le globe étant maintenant un aimant parfait, nous sommes peut-être à l'abri de voir désormais changer son axe, mais nous sommes encore exposés à voir arriver, à sa surface, des accidens occasionnés par le mouvement du fluide intérieur ; et ce mouvement est lui-même l'effet de l'explosion violente et soudaine que produit sous la terre la rencontre de l'eau et du feu.
Alors, non-seulement la terre qui se trouve au-dessus, est enlevée, mais le fluide, qui est au-dessous, est pressé avec la même force, et éprouve une ondulation qui peut se faire sentir à mille lieues de distance, soulevant ou ébranlant successivement toutes les contrées au-dessous desquelles elle a lieu.
Je ne sais pas si je me suis expliqué assez clairement, pour que vous puissiez comprendre mes rêveries.
Si elles occasionnent quelques nouvelles recherches, et produisent une meilleure hypothèse, elles ne seront pas tout-à-fait inutiles. Vous voyez que je me suis laissé emporter par mes idées. Cependant j'approuve beaucoup plus votre façon de philosopher, procédant d'après des observations, rassemblant des faits, et ne concluant que d'après ces faits. Mais dans les circonstances où je me trouve actuellement, cette manière d'étudier la nature de notre globe n'est pas en mon pouvoir ; c'est pourquoi je me suis permis d'errer un peu dans les déserts de l'imagination.
Je suis avec beaucoup d'estime, etc.
B. Franklin.
P.S. J'ai ouï dire que les chimistes pouvoient décomposer le bois et la pierre, et qu'ils tiraient de l'un une grande quantité d'air, et de l'autre une grande quantité d'eau. De là il est naturel de conclure que l'air et l'eau entrent dans la composition originale de ces substances ; car l'homme n'a le pouvoir de créer aucune espèce de matière. Ne pouvons-nous pas supposer aussi que quand nous consumons des combustibles, et qu'ils produisent la chaleur et la clarté, nous ne créons ni cette chaleur ni cette clarté ; mais nous décomposons seulement une substance, dans la formation de laquelle elles étoient entrées ?
La chaleur peut donc être considérée comme étant originairement dans un état de fluidité : mais attirée par les corps organisés, pendant leur croissance, elle en devient une partie solide. En outre, je conçois que dans la première agrégation des molécules, dont la terre est composée, chacune de ces molécules a porté avec elle sa chaleur naturelle, et quand toute la chaleur a été pressée ensemble, elle a formé sons la terre, le feu qui y existe actuellement.
PENSÉES SUR LE FLUIDE UNIVERSEL, etc.
Passy, le 25 juin 1784.
La vaste étendue de l'Univers paroît, dans tout ce que nous pouvons en découvrir, remplie d'un fluide subtil, dont le mouvement ou la vibration s'appelle lumière.
Ce fluide est, peut-être, le même que celui qui, attiré par une matière plus solide, la pénètre, la dilate, en sépare les parties constitutives, en rend quelques-unes fluides, et maintient la fluidité de quelques autres. Quand nos corps sont totalement privés de ce fluide, on dit qu'ils sont gelés. Quand ils en ont une quantité nécessaire, ils sont dans un état de santé, et propres à remplir toutes leurs fonctions : il est alors appelé chaleur naturelle. Lorsqu'il est en très-grande quantité, on le nomme fièvre. S'il en entre beaucoup trop dans le corps, il sépare, brûle, détruit les chairs, et est appelé feu.
Tandis qu'un corps organisé, soit animal, soit végétal, augmente en croissance ou remplace ce qu'il perd continuellement, n'est-ce pas en attirant et en consolidant ce fluide, appelé feu, de manière à en former une partie de sa substance ? Et n'est-ce point la séparation des parties de cette substance, c'est-à-dire la dissolution de son
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