Vie de Franklin, écrite par lui-même - Tome I
promis de venir tirer son élégie aussitôt qu'elle seroit prête, je retournai chez Bradford.
Celui-ci m'occupa, pour le moment, à faire quelque bagatelle, et me donna la table et le logement.
Peu de jours après, Keimer m'envoya chercher pour tirer son élégie. Il s'étoit alors procuré d'autres caractères, et il avoit à réimprimer un pamphlet sur lequel il me mit à l'ouvrage.
Les deux imprimeurs de Philadelphie me parurent dénués de toutes les qualités nécessaires dans leur profession. Bradford n'avoit point appris son état, et étoit absolument illétré. Keimer, quoique moins ignorant, n'étoit qu'un simple compositeur, et n'entendoit rien au travail de la presse. Il avoit été un des convulsionnaires français, et savoit fort bien imiter leurs agitations surnaturelles. Au moment de notre connoissance, il ne suivoit aucune religion particulière, mais il professoit un peu de toutes, suivant les circonstances. Il ne connoissoit absolument point le monde ; et il avoit l'ame d'un fripon, ainsi que j'ai eu, depuis, occasion de l'éprouver.
Keimer voyoit avec beaucoup de peine que, travaillant avec lui, je fusse logé chez Bradford. Il avoit bien une maison ; mais elle n'étoit pas meublée, et conséquemment il ne pouvoit pas m'y recevoir.
Il me procura un logement chez le propriétaire de sa maison, ce M. Read, dont j'ai déjà parlé. Ma malle et mes effets étant alors arrivés, je songeai à paroître aux yeux de miss Read, avec un air de plus de conséquence, que lorsque le hasard m'avoit offert à sa vue mangeant mon pain et errant dans la ville.
Dès ce moment je commençai à faire la connoissance des jeunes gens qui aimoient la lecture, et je passois agréablement mes soirées avec eux, tandis que je gagnois de l'argent par mon industrie, et vivois très-content, grace à ma frugalité.
Ainsi, j'oubliois Boston autant qu'il m'étoit possible, désirant que le lieu de ma résidence n'y fût connu de personne, excepté de mon ami Collins, à qui j'écrivois, et qui gardoit mon secret.
Cependant un incident me fit retourner dans ma ville natale beaucoup plutôt que je n'y comptois. J'avois un beau-frère, nommé Robert Holmes, qui commandoit une corvette et fesoit le commerce entre Boston et la Delaware. Se trouvant à Newcastle, à quarante milles au-dessous de Philadelphie, il entendit parler de moi. Aussitôt il m'écrivit pour m'informer du chagrin que mon prompt départ de Boston avoit occasionné à mes parens, et de l'affection qu'ils conservoient encore pour moi. Il m'assura que si je voulois m'en retourner, tout s'arrangeroit à ma satisfaction ; et il m'y exhorta d'une manière très-pressante. Je lui répondis, le remerciai de son avis, et lui expliquai avec tant de force et de clarté les raisons qui m'avoient déterminé à m'éloigner de Boston, qu'il resta convaincu que j'étois bien moins répréhensible qu'il ne l'avoit imaginé.
Sir William Keith, gouverneur de Pensylvanie, étoit alors à Newcastle. Au moment où le capitaine Holmes reçut ma lettre il se trouvoit par hasard auprès de lui ; et il profita de l'occasion pour la lui montrer et lui parler de moi. Le gouverneur lut la lettre, et parut étonné quand on lui apprit l'âge que j'avois. Il dit qu'il me regardoit comme un jeune homme dont les talens promettoient beaucoup, et qu'à ce titre je méritois d'être encouragé ; que les imprimeurs de Philadelphie n'étoient que des ignorans ; que si je m'y établissois il ne doutoit pas de mes succès ; que pour sa part, il me feroit imprimer tout ce qui avoit rapport au gouvernement, et qu'il me rendroit tous les services qui dépendroient de lui.
Je ne sus alors rien de tout cela : mais mon beau-frère me le raconta dans la suite à Boston.
Un jour que nous travaillions ensemble, Keimer et moi, auprès d'une fenêtre, nous apperçûmes le gouverneur avec le colonel Finch de Newcastle, tous deux très-bien parés, traversant la rue et venant droit à notre maison. Nous les entendîmes à la porte. Keimer croyant que c'étoit une visite pour lui, descendit à l'instant. Mais le gouverneur me demanda, monta ; et avec une politesse et une affabilité, auxquelles je n'étois nullement accoutumé, il me fit beaucoup de complimens, et me témoigna le désir de faire connoissance avec moi. Il me reprocha obligeamment de ne m'être pas présenté chez lui à mon arrivée dans la ville ; et m'invita à l'accompagner à la taverne, où il alloit avec le colonel Finch
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