Vie de Franklin, écrite par lui-même - Tome I
sont aux environs de Philadelphie. Il étoit avec son fils, à qui seul il avoit fait part de son projet, parce qu'il craignoit le ridicule, qui trop communément, pour l'intérêt des sciences, accompagne les expériences qui ne réussissent pas. Il se mit sous un hangard pour être à l'abri de la pluie. Son cerf-volant étoit en l'air. Un nuage orageux passa au-dessus : mais aucun signe d'électricité ne se manifestoit encore.
Franklin commençoit à désespérer du succès de sa tentative, quand tout-à-coup il observa que quelques brins de la corde de chanvre s'écartoient l'un de l'autre et se roidissoient. Il présenta aussitôt son doigt fermé à la clef, et il en tira une forte étincelle. Quel dut être alors le plaisir qu'il ressentit ! De cette expérience dépendoit le sort de sa théorie. Il savoit que s'il réussissoit, son nom seroit placé parmi les noms de ceux qui avoient agrandi le domaine des sciences ; mais que s'il échouoit, il seroit inévitablement exposé au ridicule, ou, ce qui est encore pire, à la pitié, qu'on a pour un homme qui, quoique bien intentionné, n'est qu'un faible et inepte fabricateur de projets.
On peut donc aisément concevoir avec quelle anxiété il attendoit le résultat de sa tentative. Le doute, le désespoir avoient commencé à s'emparer de lui, quand le fait lui fut si bien démontré, que les plus incrédules n'auroient pu résister à l'évidence. Plusieurs étincelles suivirent la première. La bouteille de Leyde fut chargée, le choc reçu ; et toutes les expériences qu'on a coutume de faire avec l'électricité furent renouvelées.
Environ un mois avant l'époque, où Franklin fit son expérience du cerf-volant, quelques savans français avoient completté sa découverte, d'après la manière qu'il avoit d'abord indiquée lui-même. On refusa, dit-on, d'insérer, parmi les Mémoires de la Société royale de Londres, les lettres qu'il adressa au docteur Collinson. Mais ce dernier les réunit en un volume, et les publia sous le titre de Nouvelles Expériences et Observations sur l'Électricité, faites à Philadelphie, en Amérique.
Ces lettres furent lues avec avidité, et on les traduisit bientôt en différentes langues.
La première traduction française en étoit très-incorrecte ; cependant, le célèbre Buffon fut extrêmement satisfait des idées qu'elle contenoit, et il répéta, avec succès, les expériences de Franklin. Il engagea en même-temps son ami Dalibard à donner à ses compatriotes une traduction plus correcte de l'ouvrage du physicien de Philadelphie ; ce qui contribua beaucoup à répandre en France la connoissance des principes de Franklin. Louis XV entendant parler de l'électricité, témoigna le désir d'en voir des expériences ; et pour le satisfaire, le physicien Delor en fit un cours dans la maison du duc d'Ayen, à Saint-Germain.
Les applaudissement qu'on prodigua alors aux découvertes de Franklin, excitèrent en Buffon, Dalibard et Delor, un vif désir de constater la vérité de son systême, sur les moyens d'écarter la foudre. Buffon plaça une barre de fer pointue et isolée, sur la tour de Montbar ; Dalibard en mit une à Marly-la-Ville, et Delor une sur sa maison de l'Estrapade, l'un des quartiers les plus élevés de Paris. La première de ces machines, qui parut électrisée, fut celle de Dalibard. Le 10 mai 1752, un nuage électrique passa au-dessus d'elle. Dalibard étoit absent : mais Coiffier, menuisier, auquel il avoit laissé des instructions, et Raulet, prieur de Marly-la-Ville, tirèrent beaucoup d'étincelles de la barre électrisée [Elle avoit quarante pieds de longueur.]. On rendit compte de cette expérience à l'Académie des Sciences, dans un mémoire composé par Dalibard, et daté du 13 mai 1752.
Le 18 du même mois, la barre que Delor avoit élevée sur sa maison, produisit les mêmes effets que celle de Dalibard. Ce succès excita bientôt les autres physiciens de l'Europe, à répéter l'expérience.
Mais nul d'entr'eux ne se signala plus qu'un moine de Turin, le père Beccaria, aux observations duquel les sciences doivent beaucoup.
Jusque dans les froides contrées de la Russie, on sentit l'ardeur de participer à ces brillantes découvertes. Le professeur Richman donnoit droit d'espérer qu'il ajouteroit aux connoissances déjà acquises, lorsqu'un coup, parti de la barre qui servoit à ses expériences, mit un terme à sa vie. Les amis des sciences regretteront long-temps cette
Weitere Kostenlose Bücher