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Viens la mort on va danser

Viens la mort on va danser

Titel: Viens la mort on va danser Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Patrick Segal
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monsieur très distingué,
regard clair, chaussé de lunettes à monture fine, me rejoint. A son parler, on
devine un enseignant ou un éducateur. Est-ce le psychologue du pénitencier ?
    « Et vous, monsieur, que faites-vous ici ?
    - Oh ! pas grand-chose.
    - Mais quoi encore ?
    - Je travaille à la lingerie.
    - A la lingerie ?
    - Oui, tous les mois on nous fait changer
d'activité... »
    Un autre garçon, un peu chétif, accompagné
d'un solide gaillard, vient me trouver :
    « Tu parles espagnol ?
    - Oui, un peu,
    - Mon copain ne parle ni français ni anglais.
Il ne peut parler avec personne ici. On se comprend juste par gestes, c'est
tout. Tu peux parler un moment avec lui ? »
    En quelques minutes, il me raconte son
enfance dans un bidonville de Mexico, son adolescence et les bagnoles volées
pour arriver au Canada.
    ' «.Pour y gagner de l'or », comme on
disait chez lui.
    « Tu vois, me dit-il, je changerais bien ta
peau contre la mienne. Je suis prêt à sauter dans ton fauteuil pour foutre le
camp d'ici. Tu sais, la prison, c'est terrible, avec ou sans stade, avec des
rideaux ou pas aux barreaux. Jamais de femmes, jamais d'affection, jamais
personne à qui parler. Pas d'odeurs, pas de piments comme dans ma bonne cuisine
mexicaine. Toujours des patates et du sirop d'érable. Je veux pas te faire de
la peine, parce que toi tu peux comprendre ce que c'est que la prison, mais
tout de suite j'échange avec toi. »
     
     
    *
     
     
    Au-delà des chronos, des performances, des
cris de victoire, des bras qui se lèvent, du regard un peu froid, du regard
d'argile du géant cubain Juan Torena, au-delà du sourire amer de l'Américain
Dwight Stones, il y a la grâce, la légèreté, le feu de l'âme qui fait bondir,
tourner, virevolter les cœurs : la reine des Jeux, la petite Nadia Comaneci.
    Pour la finale des exercices libres, je me
suis placé dans l'axe des barres asymétriques, juste ce qu'il faut pour le 200
mm; une femme d'un certain âge s'approche de moi en souriant :
    « Puis-je me mettre près de vous pour travailler?
Dites-moi quelle optique vous utilisez afin que je ne rentre pas dans votre champ
visuel. Surtout dites-moi bien si je rentre dans votre champ!»   •
    Qui est-elle? Son visage ne m'est pas
inconnu.
    En tout cas elle est très courtoise; je
dirais très « vieille Allemagne », vu son accent.
    Les ténors de la plaque sensible défilent
devant elle pour la saluer.
    « Madame Riefenstahl, juste une photo. »
Leni Riefenstahl ! Quelques images sinistres battent des ailes dans mon
souvenir : l'égérie du nazisme, la cinéaste des Jeux de Berlin 1936, l'envol
des pigeons, les oriflammes, la main refusée de Hitler au Noir Jess Owens. Un
horrible morceau de l'histoire s'est, enfermé dans la boîte à images de cette
septuagénaire.
    Que nous travaillions ensemble me paraît un
juste retour des choses, un bon retour aux choses humaines. En 1936, côte à
côte... non, jamais en 1936 nous n'aurions pu travailler côte à côte. Et puis
Leni Riefenstahl est passée elle aussi dans les prisons et, avec le temps, la
photographe du nazisme est devenue une véritable et grande artiste. Je me
souviens de ce que disait Rubinstein retournant en Allemagne après la guerre :
« Ce n'est pas en entretenant la haine que les hommes découvriront l'amour. »
    Mais la fée Comaneci arrive et les pigeons
de Berlin ne sont plus que de petites bulles noires qui éclatent au plafond.
    Les souffles restent dans les poitrines,
lès doigts en suspens sur les déclencheurs; il n'y a plus un souffle dans
l'immense forum, comme si l'on craignait qu'un souffle la déséquilibrât. La fée
vole dans les airs, rattrape la barre souple, se relance d'un coup de reins puis
pirouette, tourne comme une balle et se réceptionne comme si' elle naissait
subitement, magiquement, sur la terre.
    Tandis qu'Olga Korbut pleure dans son coin
son trône perdu, une volée de photographes papillonne autour de la fée. Elle ne
peut plus faire un mètre sans qu'il y ait cinquante boîtiers agglutinés sur
elle. Son merveilleux sourire s'allume et s'éteint à l'infini sous les milliers
de flashes du stade archicomble. Non, la cheville blessée d'Olga Korbut ne peut
être une excuse. Peut-on se battre contre une fée ?
    Tandis que huit mille correspondants de
presse téléphonent, télexent, écrivent, enregistrent, cava- lent sur les traces
de la vedette du moment, je m'enquiers de Paris. Aucune nouvelle. Le Turc est
débordé et ne peut ni

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