Viens la mort on va danser
téléphoner ni envoyer de télex. Je ne sais toujours pas
si mes « Frago [2] » de Mick Jagger ont été
utilisés.
Dans le village, je rencontre Guy Drut. Il est
le super-favori du 110 mètres haies. Nous bavardons un peu. Il me semble très
nerveux; il redoute Casanas, Milburn et cette petite douleur à la cuisse. Je
lui demande si je peux le prendre à l'entraînement. Guy accepte. Je serai le
seul photographe et j'ai la sensation de préparer sa victoire. Je lui dis
combien j'aurai de plaisir à le filmer en action car je courais moi-même les
haies, lorsque j'avais quinze ans, au stade de Reims.
Pendant ce temps, Michel a remonté le
Saint- Laurent jusqu'à Montréal avec ses deux bateaux, le Rara Avis et le Bel-Espoir. Je vais avec la voiture
du Comité olympique jusqu'au quai. Six mètres en contrebas me séparent du Rara Avis, je le regarde,
j'avance la main comme pour toucher le mât où Michel a dressé le pavillon
breton. Michel a vu mon signe. Il grimpe sur le quai, empoigne un « bout »
qu'il passe autour d'un mât et dans une poulie, attache avec une corde mon
fauteuil aux quatre coins et tire : ficelé au fauteuil, je me balance dans les
airs, un peu comme une caisse que l'on charge sur un cargo.
Sur le pont, je retrouve les odeurs
habituelles de soupe. Là-haut, le pavillon breton semble s'ébattre comme une
hirondelle de mer. . Michel a remarqué ma voiture officielle, aussi se
moque-t-il de moi. « Mais qu'aurais-je fait, Michel, sans le concours de mes
amis québécois ? » Puis il me raconte la remontée du Saint-Laurent, l'accueil
des foules en Gaspésie et tout le long du fleuve. Il me parle aussi de ses
nouveaux passagers. Nos paroles se poussent, s'égarent, se retrouvent... Ah!
oui, de nouveaux passagers, dont l'un, pseudo-écologiste, est décidé à planter
un jardin flottant sur le pont du Rara Avis. Mais pas un jardin
à la française, à l'anglaise ou à la japonaise : un jardin de pavots ou de
chanvre plein de senteurs hallucinogènes. En riant je l'imagine en train de
moudre quelques grains de pavot sur la soupe du soir, d'ajouter un soupçon de
chanvre indien. Mais nos paroles et nos mains doivent se séparer. On me
décharge sur le quai où je roule en direction de ma voiture « officielle ».
Demain, Michel appareillera avec ses nouveaux clients pour Terre- Neuve et
Brest.
Mon fauteuil, lui, n'a rien d'officiel ni
de royal. Il donne même des signes évidents d'affaiblissement, tant esthétique
que mécanique (il est vrai qu'à bord les membres de l'équipage s'en servaient
pour porter les gros sacs de voiles, plus quelques courses de formule 1 revues
et corrigées). Quatre années d'utilisation sur toutes; les routes du monde, le
baptême de la glaise dans les rizières, les chemins creux de la Cordillère et
le sel de l'Atlantique : nous en aurons fait du chemin tous les deux ! Le
contrat parfait à 50/50, comme en photo. Nous ferons encore quelques tours de
roues et je le laisserai en paix. Au fond de moi je dis : « Et je te laisserai
en paix. » C'est sottement sentimental sans doute. Mais qui comprendra le lien
qui m'a uni à ce fauteuil? Plus tard, quand je retournerai en Californie, je
l'abandonnerai à un hôpital qui le retapera. Il terminera là sa route. S'il ne
bouge pas trop, il en aura encore pour quelque temps.
A rester assis pendant des heures, parfois
sous la pluie, mon escarre ne s'est pas améliorée. J'ai beau mettre une
compresse circulaire en mousse, m'enduire de pommade à la xylocaïne, rien n'y
fait. La croûte qui s'est formée le matin se déchire après quelque temps sur le
coussin de mousse. Après les Jeux, j'irai m'allonger une semaine ou deux pour
cicatriser tout ça.
Encore quelques jours et la fête sera
finie. La fatigue se fit sur le visage des organisateurs sans cesse harcelés
par les journalistes. « Tenir encore quelques heures, tenir encore et ensuite
nous nous reposerons près du fleuve ou dans l'île d'Orléans », semblent-ils
espérer avec leurs cernes, leurs pieds, leurs nerfs à bout de patience. Au
milieu de la grande salle de presse enfumée, je croise des reporters écroulés
de fatigue.
Patience ! Le Turc reste silencieux à mes
appels, Nick Weeler a fait la couverture de L'Express. Et moi ?
Pour la finale du. 110 mètres haies, j'ai
obtenu une place dans les gradins, un peu en biais. Mon boîtier motorisé suit
Guy Drut, jusqu'au cassé du buste sur le fil. Silence, suspense... Drut ?...
Casanas?... tout
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