Viens la mort on va danser
femme, avec un très beau visage, vient me saluer : c'est
Lyse Paillette, l'animatrice et réalisatrice de l'émission. On me l'a décrite
grosse, je lui trouve des gestes ronds et gracieux. On m'a dit aussi qu'avec
son intelligence et son humour tranchant elle était redoutable. Qu'elle me
poserait une foule dé questions pièges.
Je me risque à lui demander qui est l'autre
invité.
« Personne ! Vous avez sûrement plus de
choses à dire que les autres !»
Je n'ai pas l'impression d'aller à la
guerre, je n'essaie pas non plus, d'aiguiser mes mots, je ne sens aucune
embuscade tandis que je pénètre sur le plateau fortement éclairé. Il y a là une
table, deux micros et Lyse Paillette. Lyse me sourit puis regarde la lampe
rouge qui vient de s'allumer.
Face aux millions de téléspectateurs, elle
me dit:
« Vous n'avez pas honte de venir ici avec
un fauteuil aussi rouillé? »
Une question franche, provocante, et qui
appelle une réponse simple, tout aussi provocante :
« Je viens de traverser l'Atlantique à la
voile. C'est le sel de mer, l'air de la mer qui ont rouillé mon fauteuil.
- Vous n'avez pas eu peur ? Vous recommenceriez
?
- Oui, peut-être...
- Seul ?
- Pourquoi pas ?»
Oh! je vois, vous pensez que là aussi il me
reste encore à prouver que je suis comme les autres, avec plus de force, plus
de volonté, plus de folie. Eh bien non, je n'ai rien à prouver; ce que je
cherche est ailleurs, au-delà, des records, au-delà des médailles* quelque,
part à la limite du rayon vert, en quête peut-être d'un oiseau seul au milieu de
l'océan... Non, on n'est jamais seul en mer : il y a tout un monde en dessus,
et surtout en dedans.
Le gros de la vague s'est apaisé, l'eau est
devenue calme. Pendant une demi-heure je raconte mon tour du monde, mes
reportages. Lyse m'a pris la main pour me donner confiance, mais au fond de
moi, je me sens fort et léger. Grâce sans doute à tous ces mots d'azur et
d'iode que j'ai prononcés, que j'ai déchargés sur le rivage des hommes. Puis,
en me quittant, elle me remet une médaille d'or frappée pour lès Jeux
Olympiques. La richesse tient à peu de chose : une main, un sourire, un geste.
Lors de la conférence de presse pour les photographes,
on nous annonce que les Américains et les Allemands ont acheté les places
situées au bord de la piste. Ils ont aussi accaparé les aires de saut et de
lancer. Ainsi ce puissant « pool » de photographes pourra-t-il travailler dans
les meilleures conditions tandis que nous, pauvres « démonétisés », devrons
nous contenter du bout des gradins... et d'un téléobjectif.
La colère gronde. Tout de suite, on se
réunit — conseil de guerre entre les représentants des agences et des
différents journaux. C'est décidé, on fera le forcing.
La chance, ou le vent, me poursuit. Au
service de presse un message m'attend : « Passez le plus tôt possible à la
maison Canon. » C'est cette maison qui fournit en matériel certains
photographes des Jeux. Je fonce au labo-photo : une gigantesque maison
préfabriquée, installée dans un parc et capable de développer en quelques
heures des centaines et des centaines de films. Un responsable est là, qui me
propose aussitôt un boîtier à moteur et deux focales, l'une de 200 et l'autre
de 400. La dimension idéale pour travailler au « bord » de la piste. J'obtiens
également un lot de pellicules et, suprême cadeau, une boucle de ceinturon
représentant un appareil-photo! , Rentré dans mon sous-sol, j'épingle au mur
l'immense programme des festivités et je prépare mon plan. D'abord
l'athlétisme» puis le judo et... la natation. Mais il me faudra un moyen de transport
pour aller d'un stade à l'autre! Je décroche le téléphone et appelle mon équipe
de choc : Diane, Suzanne et Danielle Sauvage. La réponse ne tarde pas. Grâce à
leur gentillesse doublée d'une très grande efficacité, elles obtiennent du
Comité olympique une voiture et un chauffeur pour toute la durée des Jeux.
Vingt-quatre heures sur vingt- quatre.
Ces soudaines facilités matérielles, de
bons appareils et un moyen de transport me confortent dans mon enthousiasme. II
ne reste plus qu'à se bien placer.
Aux premières heures je musarde donc dans
les sous-sols du stade afin d'obtenir un ticket permettant l'accès aux places
normalement réservées au « pool » américano-allemand. Puis je rejoins- les
Français tirant sur leur Gauloise en haut des gradins....
Pendant les séries, je me
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