Viens la mort on va danser
carrelage de ma chambre. Dans un demi- sommeil, je remarque
combien le sol est brillant. Je me rendors et me réveille à nouveau. La neige
ayant fondu dans les gouttières, l'eau s'est infiltrée et a recouvert le
carrelage. Dix centimètres d'eau par 0° ! Je prends mon courage à deux mains et
patauge jusqu'à la grande salle où le niveau a baissé.
Tout est calme sur la zone ouest depuis la décision,
de part et d'autre, de ramasser tout l'armement. Cette tentative de désescalade
est pourtant vouée à l'échec. On ne sent cette volonté de paix ni « de part »
ni « d'autre ».
C'est aujourd'hui mon premier contact avec
les médecins de l'Ouest. Le docteur Barudi m'attend à l'hôpital Berbir. Voilà
des semaines que-nous essayons d'entrer en contact.
Dans le hall de l'hôtel, en partant, je
tombe à nouveau sur mon « espionne » qui essaie encore de me soutirer un tuyau
médical. Je lui glisse le mot xylocaïne qu'elle me fait répéter trois fois. Lorsqu'elle
m'avait abordé et littéralement kidnappé à ma sortie de l'Hôtel-Dieu, elle
m'avait déclaré, sans aucune gêne :
« Je suis comme la mouche, je me colle sur
les gens. »
Puis :
« J'ai surpris votre conversation avec le médecin.
Pourrais-je venir à votre rendez-vous avec le docteur Barudi ?»
Je ne lui dis mot à ce sujet et je
m'enfuis.
Il n'y a plus de voiture de la Croix-Rouge
pour aller en ville, aussi j'appelle un taxi. Longeant la mer, nous passons
devant un petit marché aux puces où les Palestiniens revendent les fauteuils de
bureau, les canapés et tous les objets volés dans les immeubles pendant les
événements. Dans une boutique sont, alignés une centaine de téléphones.
Cheveux poivre et sel rejetés sur le côté,
le docteur Barudi est petit et mince. Formé à l'université de Beyrouth et
recyclé à New York et au Danemark, ce spécialiste de médecine physique me
paraît sympathique, et compétent. Il brosse un tableau de la situation médicale
assez déprimant. Le nombre de paralysés de cette zone est évalué à trois cents
au minimum. Aucun centre n'a pris en charge ces gens qui, selon lui — à la
différence de ceux de la zone chrétienne —, n'étaient pas des - combattants
mais des innocents soutenus par aucun parti politique. (Mais chaque camp me
fera cette même réflexion). Le docteur Barudi continue son constat :
« Quelques paraplégiques, une trentaine,
ont été correctement rééduqués. Hélas ! les problèmes que leurs soins ont posés
au service et à l'administration hospitalière ont arrêté le programme et le développement
d'un centre spécialisé. »
Le docteur est aussi pessimiste quant à
l'équipe ministérielle en place :
« Voyez-vous, me dit-il, dans six mois ou
dans un an ces gens ne seront plus au pouvoir et seront remplacés par des
commerçants ou autre chose. » J'essaie du moins de le convaincre : « Le
président Sarkis et le ministre Hassad Risk que j'ai rencontrés m'ont paru tout
à fait décidés à entreprendre un vaste plan de rééducation et de réinsertion
des blessés de guerre.»
Nous quittons l'hôpital Berbir pour aller
visiter le centre de rééducation d'Ouzaï et empruntons de grandes avenues
bordées de pins. Jadis cet endroit devait être fort agréable. A présent, les
Syriens y ont installé leur campement : les chars ont tracé de larges tranchées
dans la terre rouge. Un peu plus loin, j'aperçois le plus gros camp
palestinien, le seul â ne pas avoir été rasé, le camp de Sabra. Les
Palestiniens ont construit juste en face un petit hôpital : véritable blockhaus
surprotégé de murs et de barbelés dans lequel travaillent des médecins et des
chirurgiens de l'Europe de l'Est. Un mystère plane derrière ce bidonville où
flotte une odeur de viande grillée.
Au centre d'Ouzaï, Amal Saadé, responsable
de la rééducation, me fait visiter les-installations. Construit au bord de la
plage, ce centre donne d'un côté sur la mer, de l'autre sur le golfe de Beyrouth.
Il est immense, agréable, et bien équipé. Il pourrait fort bien accueillir les
trois cents paraplégiques dont me parlait le docteur Barudi. Pourquoi ne
l'a-t-on pas fait? Je dis à Amal Saadé mon étonnement. « Je le souhaiterais
également », me rétorque-t-il, laconique. Ses réponses sont en forme de
questions :
«. Qui paiera les traitements ? Qui
trouvera le personnel nécessaire ? Qui reconstruira les routes, les ambulances,
l'ensemble des moyens de transport? » Je quitte
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