Viens la mort on va danser
un puissant industriel, pour les
faire remarcher. Il serait temps de court-circuiter toutes ces bonnes «
dames-bonbons » et leurs initiatives privées, pour lesquelles les handicapés
ont remplacé les petits orphelins de naguère.
Je remonte en vitesse chez Leïla qui doit m’accompagner
à l'hôpital Risk où j'espère enfin rencontrer le docteur Hassad Risk, nouveau
ministre des Affaires sociales.
Dans la cour de l'hôpital je contourne le
trou laissé par l'obus qui, il y a quelques jours, a détruit une ambulance. La
porte des « urgences » a été criblée de balles. Malgré l'heure des visites,
tout est silencieux. Il fait froid dans le bureau du ministre, qui occupe le
poste d'urologue et qui, il y a vingt ans, « s'occupait de l'hôpital de
Fontainebleau » ! Je lui expose les raisons de ma venue et ce que je souhaite.
Hassad Risk me répond qu'une décision de regrouper les six ministres autour du
problème des handicapés vient d'être prise. Sa position sera d'établir le
contrôle de la médecine, tant du côté chrétien que du côté musulman. Il ne me
cache pas qu'il serait bon d'écarter les médecins incompétents. Sur cette
mesure, je suis sceptique car ceux-ci occupent parfois des postes importants.
Notre conversation est malgré tout intéressante. Son expérience donne ùn peu de
poids et d'authenticité à ses paroles. Nous décidons de nous rencontrer à
nouveau après la réunion ministérielle.
Ce soir, j'invite Leïla au restaurant dans
la baie de Jounieh : un bistrot sur la plage, dans une cabane aménagée, La
nourriture y est bonne et simple. Autour de nous, les tables sont occupées
uniquement par des hommes.
Trois heures du matin. Une explosion vient
de retentir à quelques centaines de mètres. Je sors de mes couvertures et
j'apprends que c'est l'œuvre des phalangistes. Ils viennent de faire sauter la
pharmacie du village, qui appartiendrait à un membre du Parti progressiste
syrien. Quelques rafales de mitraillette.-La nuit se réchauffe auprès de
l'incendie sans cesse attisé par les bouteilles d'oxygène du laboratoire.
Samedi 8 janvier
En regardant et en
écoutant certains « grands reporters », il m'est venu ce moment d'humeur :
Je pense que Leïla et ses enfants mettent
plus souvent leur vie en danger que la plupart des reporters venus en groupes
fouiller dans les ruines de Beyrouth. Qu'à tous les fantoches en treillis
bardés de boîtiers et racontant leur guerre aux hôtesses de l'air, je préfère
la discrétion d'un Depardon ou le sourire un peu timide de Francis qui, après
avoir fait la « une » de Paris Match, la laisse enfouie dans le monceau de pellicules et de boîtes qui encombre sa
voiture. Que les reportages les plus dangereux ne sont pas forcément ceux qui
font le plus de bruit (Michel Laurent mort dans une banlieue de Saigon). Que si
les salles de bain d'hôtels pouvaient parler, elles nous diraient comment un robinet,
une chasse d'eau deviennent un élément de studio d'enregistrement. (Même dans
les coups durs, certains ne peuvent s'empêcher de travailler en « play-back ».)
A côté de ces chevaliers de la plaque
sensible et des pleureurs' d'informations branchant leur micro comme une
grenade dégoupillée, combien de grands noms plongés au cœur de l'action, pudiques
et discrets, simples témoins à la recherche de vérités!
On ne va pas, comme Saussure, courir les guerres
« parce qu'elles sont là [6] », mais pour témoigner et donner
aux victimes un certain droit de réponse.
Dans le regard de l'enfant à la bicyclette
du camp dé Tall el Zaatar, il y a plus d'horreur et de désolation que dans
certaines images teintées de sang.
Lundi 10 janvier
Hôpital de l'Hôtel-Dieu.
Je donne un cours sur les traumatismes de
la moelle épinière aux élèves infirmières de première année. Ce cours est suivi
d'une discussion avec les élèves de troisième année puis, à la cafétéria, avec
les médecins neurologues, les chirurgiens plastiques, les chirurgiens des os et
d'autres. Dans l'ensemble, les questions sont intéressantes. Nous prenons
rendez-vous pour dans quelques jours.
Toujours « accroché » à cette possibilité
de donner des cours côté musulman, je cherche désespérément le docteur Majzoub
qui est la clef de la zone musulmane. Une partie de mon séjour pourrait
s'intituler : A la recherche du
docteur Majzoub!
Mardi 11 janvier
Beït Chebab.
Très tôt le matin, une lumière glacée
descend sur le
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